Mag2Lyon avait consacré une longue enquête à cette affaire (1). Quatre randonneurs en ski de randonnée nordique avaient été tués par une avalanche en mars 2018. La famille lyonnaise d’une des victimes se bat depuis cinq ans pour que le guide soit jugé compte-tenu d’une série de décisions contestables. Par Lionel Favrot
Dans son arrêt du 4 juillet 2023, la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel de Nice retient l’essentiel des arguments soulevés par Jean-Jacques Bertrand, père d’Anne, l’une des victimes, dès les jours qui ont suivi ce drame. Ces magistrats relèvent tout d’abord que Lionel Condemine, le guide, a maintenu la sortie “alors que le risque d’avalanche était élevé” et qu’il a choisi “un mauvais itinéraire”.
Le risque était ce jour-là de 4 sur 5 avec “un risque de départ spontané d’avalanches volumineuses.” Plus de 50cm de neige étaient tombés dans la nuit sur une neige froide. “Ce qui créé des conditions favorables au départ d’avalanche.” Selon un expert nivologue, Alain Duclos, il existait un itinéraire hors des emprises de l’avalanche. Selon la rescapée, les randonneurs n’en avaient pas été informés par le guide.
Une fois ses clients exposés dans une zone à risque, il est allé au-devant “en laissant ses clients en attente groupés et en lisère de bois.” Ce qui explique que les cinq randonneurs aient été tous emportés d’un coup par l’avalanche à 10h30 et qu’il se soit retrouvé isolé. Partiellement enseveli, il lui a fallu 45mn pour se dégager avant de rejoindre l’unique rescapée du groupe. Interrogé sur ce choix, il affirmera qu’il a peut-être commis une erreur mais pas une faute.
Le drame arrivé, la Cour d’Appel constate qu’il n’a “ni alerté ni orienté les secours rapidement, notamment en l’absence de matériel de transmission adéquat”. Il n’avait en effet pas souscrit d’abonnement au service d’alerte couvrant cette zone de montagne. Le temps de trouver du réseau et de mobiliser les secours, les quatre randonneurs ensevelis sous 80cm à 1m50 de neige, n’ont été retrouvés qu’à 12h45, réduisant leurs chances de survie. Lui-même précisera aux enquêteurs qu’il n’avait pas tenté de les dégager car au-delà d’1h30 sous la neige, les chances de survie restent faibles.
Ce guide avait été placé en mars 2020 sous le statut de témoin assisté par un juge d’instruction qui avait rendu une ordonnance de non-lieu le 15 février 2021. Les parties-civiles ayant fait appel de cette décision, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Nice a mis en examen Lionel Condemine le 28 avril 2022 en décidant d’un supplément d’information. Défendue par Me Caty Richard, Jean-Jacques Bertrand demandait son renvoi devant le tribunal correctionnel pour homicides et blessures involontaires. Ce qu’ils ont donc obtenu.
Cette affaire pose la question de l’évaluation des risques par les guides en qui les clients ont toute confiance sans forcément eux-mêmes avoir les éléments de décision. Surtout quand il s’agit de randonneurs amateurs. Certains professionnels de la montagne rappellent systématiquement la dangerosité de ce milieu. D’autres appellent à revoir les pratiques pour ne pas s’abriter derrière cet argument. “J’espère que cette affaire permettra de relancer le débat ouvert par le livre le Guide et le Procureur co-écrit par un magistrat et deux guides, souligne justement Jean-Jacques Bertrand. La Cour d’appel étaye son raisonnement en précisant qu’une accumulation de maladresses, d’imprudences ou de négligences qui entretiennent chacune un lien de causalité certain avec les dommages, permet d’établir l’existence de la faute caractérisée.” Et elle ajoute “La pratique volontaire par ses clients d’une activité en milieu naturel à risque ne dispense pas (le guide) de s’interroger sur les obligations contractuelles qui s’imposent à lui et ne peut conduire à admettre un certain fatalisme.”
(1) https://www.mag2lyon.fr/avalanche-dentraunes-une-famille-face-a-la-justice/
-Article paru dans Mag2Lyon N°139-
(2) Les guides Erik Decamp et Alexis Nallon ont écrit “le Guide et le procureur” avec Jacques Dallest, magistrat, aux éditions du Mont Blanc, 2020, lire leur entretien dans le Mag2Savoies N°13, trimestriel édité par Mag2Lyon
Lionel Condemine reste présumé innocent
-Photo : la randonnée avant l’accident
