Quelle a été votre stratégie pour engager la transition écologique au niveau de votre communauté de communes avant de vous lancer au niveau du Département ?
Frédéric Pronchery : Cela fait longtemps que je cultive tout ce qui est biodiversité et énergies renouvelables. On est dans la sixième extinction de masse de la biodiversité et il va falloir trouver des points d’équilibre. La transition écologique était au coeur de mon programme pour les élections municipales de 2020 et on a pu rapidement avancer.
Pourquoi votre commune fait aujourd’hui figure de territoire pionnier de cette transition dans le Beaujolais ?
Parce que la communauté de communes Saône-Beaujolais est une de sintercommunalités les plus mutualisées de France. Cette transversalité a permis d’accélérer la transition écologique. On a un seul directeur général des services et un seul bâtiment pour les 300 agents. Il n’y a plus aucun secteur où on n’introduit pas ces notions environnementales. L’autre facteur, c’est que les élus de la CCSB s’entendent très bien.
Qu’avez-vous entrepris en matière de photovoltaïque ?
On s’est lancés dans une massification du photovoltaïque il y a bientôt trois ans et demi. Nous sommes la première communauté de communes à avoir créé notre propre marque d’électricité : BôWatts, au printemps 2023. On a testé pendant sept mois le système d’abonnement pour l’ajuster avant son lancement.
Le solaire à Belleville-en- Beaujolais, c’est un choix exclusifo u vous vous intéressez aux autres énergies renouvelables ?
Personnellement, je défends toutes les énergies renouvelables mais on a fait le choix du solaire car c’est celle qui bénéficie de la meilleure acceptabilité sociale et qui, à ce jour, paraît la plus aboutie. On va aussi se lancer dans la méthanisation avec une belle installation de 300 Nm3/h (1), une capacité de production qui pourrait doubler à terme. Sans rencontrer d’opposition particulière. On va être les premiers à créer une SEMOP, une société à objet unique, pour un méthaniseur car ce statut permet à une collectivité territoriale d’être à la tête du conseil d’administration avec 35 % des actions. On souhaite vraiment créer une méthanisation territoriale.
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“Le potentiel de l’énergie photovoltaïque est parfois encore contesté… On a vérifié : au niveau de la CCSB, comme du Département du Rhône, si on installe des panneaux photovoltaïques sur les toits de tous nos bâtiments publics, cela suffit à couvrir leurs besoins. Pour le Département, on est même bien au-delà.”
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Avez-vous réalisé un travail en amont auprès des élus et de la population pour éviter des blocages face à la méthanisation ?
Oui. On a fait dix ans de sensibilisation avec des visites d’autres installations. A Belleville-en-Beaujolais, on avait déjà l’exemple de la station d’épuration qu’on a bien intégrée à proximité de la sortie d’autoroute, elle-même très proche du centre-ville. Cette station est peu visible de jour et la nuit, où elle est éclairée, cela devient un objet architectural. On a été les premiers à récupérer la chaleur fatale (2) des effluents de cette STEP pour alimenter notre réseau de chaleur urbain. Elle a été labellisée “station d’épuration du futur” par l’Agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse. Aujourd’hui, elle est régulièrement visitée par des élus qui souhaitent réaliser le même type d’installation dans leurs communes.
Vos initiatives dans le Beaujolais ont permis d’élargir à tout le Rhône ?
Oui. Ce qui nous intéresse, c’est de créer des outils duplicables pour que les autres collectivités se les approprient et les adaptent à leur territoire. Toujours pour massifier l’usage des énergies renouvelables. Exemple : pendant la construction de notre station d’épuration à Belleville, la Ville d’Aix-les-Bains est venue la visiter et aujourd’hui, sa piscine est chauffée avec la chaleur fatale de sa propre station d’épuration. Dès que j’ai été élu conseiller du Département du Rhône en 2021, j’ai donc proposé à son président Christophe Guilloteau et à l’exécutif, de développer ce qui a abouti à la marque Rhône Mégawatt pour aller vers un changement d’échelle.
Quelle est votre stratégie pour le département du Rhône ?
On a voté une stratégie pour développer les énergies renouvelables le 13 décembre 2022 et créé Rhône Mégawatt en 2023. On est le premier département en France a se lancer dans une stratégie aussi massive et aussi partenariale. Le potentiel de l’énergie photovoltaïque est parfois encore contesté… On a vérifié : au niveau de la CCSB, comme du Département du Rhône, si on installe des panneaux photovoltaïques sur les toits de tous nos bâtiments publics, cela suffit à couvrir leurs besoins. Pour le Département, on est même bien au-delà. On aurait donc pu partir seuls dans ce projet dans une logique d’auto-consommation isolée mais ce n’est pas notre état d’esprit. On a sollicité les communes, les communautés de communes mais aussi l’Opac du Rhône, la Chambre d’agriculture ainsi que les CCI de Lyon-Saint Etienne-Roanne et Villefranche-sur-Saône pour s’associer à notre démarche. Pour eux, le Département du Rhône représente un véritable tiers de confiance car trop d’entreprises ou de particuliers ont été démarchés par des personnes leur promettant des rendements incroyables grâce au solaire.
Combien de sites ont été identifiés dans le Rhône ?
600 ! Toutes les communes et communautés de communes ont répondu mais on ne pourra pas retenir tous ces sites car il faut au minimum des toits de 800 à 1 000 m2 pour que ce soit rentable. Rhône Mégawatts est une stratégie à la fois environnementale, sociale et économique. Les trois piliers du développement durable pour nous.
Où allez-vous installer tous ces panneaux solaires ?
Les grands toits de nos bâtiments publics, les parkings, les délaissés de voirie… A Belleville-en-Beaujolais par exemple, on va installer des panneaux photovoltaïques sur quatre parkings cette année : celui du covoiturage mais aussi ceux du collège, du lycée et de la salle des fêtes.
Beaucoup de terrains inexploités peuvent servir à la production d’énergie solaire ?
Oui. Quand le Département du Rhône réalise des infrastructures comme un rondpoint par exemple, il achète les terrains immédiatement autour mais une fois que les travaux sont faits, ces parcelles restent inconstructibles. On va aussi être les premiers à faire du solaire vertical en bord de route. On peut aussi imaginer s’associer avec du privé car c’est l’avantage du solaire : on peut fonctionner par grappes. Exemple : relier à notre boucle de production locale d’énergie, non seulement un toit de salle des fêtes mais aussi celui d’une entreprise privée toute proche.
Comment va s’organiser cette production d’énergie solaire territoriale ?
On aura une SAS Rhône Mégawatts générale et en dessous Rhône Mégawatts Agri, Rhône Mégawatts Agri Cci, Rhône Mégawatts OPAC… On a travaillé avec des avocats pour à la fois aller vite avec des structures pas trop lourdes mais aussi s’en assurer le contrôle. Les premières installations vont sortir courant 2024. Notre ambition c’est une politique à la fois solide et rapide avec, dès 2025, une production de 140 GW.
Qui va installer ces centrales solaires ?
Suite à un appel à manifestation d’intérêt, on a choisi, à l’été 2023, un groupement avec Corfu Solaire, filiale de Terre et Lac, Serfim ENR et Solarhona, filiale de la CNR. Le Rhône a été divisé en trois et chaque membre du groupement s’est vu attribuer un territoire. On veillera à ce que les projets de chacun de ces trois territoires avancent de manière équitable.
Pourquoi ne faites-vous pas appel au privé à 100 % ?
Parce que notre démarche de production territoriale, c’est que tous nos modèles doivent être rentables. Ce qui nous permet des partenariats. Pour le photovoltaïque, on a créé, avec le Lyonnais Terre et Lac, une SAS dont on est actionnaire à près de 50 %. Pour la méthanisation, on a créé Bio Energies Beaujolaises avec Agriopale Service une entreprise de Cucq, dans le Pas-de-Calais, qui a déjà 9 méthaniseurs en France, dont on a pris 35 % des parts.
Etes-vous concurrents des initiatives d’auto-consommation type centrales villageoises ?
Non, chacun est à sa place.
Et quelle est votre position concernant l’agrivoltaïsme ?
Les panneaux sous lesquels on peut élever des moutons dessous par exemple, cela fonctionne. En revanche, l’agrivoltaïsme avec des panneaux situés assez haut pour faire circuler des engins agricoles, me semble encore à l’état expérimental. Il doit prouver qu’il est bénéfique pour le maraichage ou la vigne par exemple, car c’est la condition de son développement. On attend aussi des retours en termes de rentabilité. Ce sera sans doute une solution intéressante dans le futur. Cela peut également être une protection contre le gel de printemps, la grêle, la canicule… J’ai été vigneron et je sais comment les cultures peuvent manquer d’eau aujourd’hui.
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“La culture nucléaire a tout noyauté ces dernières décennies. Des projets de développement de l’énergie solaire ont été bloqués et la France a été le seul pays européen à ne pas avoir atteint les objectifs de production en énergie renouvelable fixés par l’Europe pour 2020.”
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Votre initiative solaire départementale va faire école ?
On l’espère. L’important c’est d’accompagner les acteurs sinon on en reste à un débat entre partisans et détracteurs des EnR. En France, on parle trop sans agir. Autre problème très français : un changement permanent des réglementations.
Vous rencontrez encore beaucoup de specticisme face au potentiel de l’énergie solaire ?
Assez peu désormais. Moi, ce que je constate, c’est que les premiers panneaux solaires posés en France en 1969 sont encore fonctionnels même s’ils ont perdu environ 30 % de leur capacité de production. En 55 ans, c’est peu. Mais la culture nucléaire a tout noyauté ces dernières décennies. Des projets de développement de l’énergie solaire ont été bloqués et la France a été le seul pays européen à ne pas avoir atteint les objectifs de production en énergie renouvelable fixés par l’Europe pour 2020. Elle était à 19 % de sa consommation finale brute énergétique au lieu de 23 %.
Comment lever les derniers freins ?
Il faut sensibiliser la population mais aussi acculturer les élus et les techniciens par des programmes de formation pour comprendre les enjeux et s’adapter aux changements législatifs, techniques… C’est pour cela qu’on a créé l’Académie de la transition énergétique lors de la journée régionale des territoires à énergie positive qui s’est tenue à Belleville-en-Beaujolais en avril 2023 (3). On était aussi présents à leur journée nationale dans les Monts du Lyonnais en septembre suivant. Dans le Rhône, on se mobilise pour une mise en oeuvre rapide de solutions.
(1)Nm3/h : le mètre cube normal est l’unité de mesure de volume pour un gaz se trouvant dans les conditions normatives de température (0 °C) et de pression (1,01325 bar). (2)La chaleur fatale est la chaleur perdue dans un process
———— TEPOS : QUATRE DANS LE RHÔNE
Ces territoires associent sobriété et énergies renouvelables.
Le réseau national des territoires à énergie positive (TEPOS) est une association qui rassemble plus de 300 structures, associations, entreprises ou collectivités, engagées dans la transition énergétique. Elle s’inspire des principes de l’association négaWatt qui privilégie la sobriété et l’efficacité pour diminuer les besoins, ce qui facilite leur couverture par la production d’énergies renouvelables. Plutôt qu’une croissance sans limite qui peut rendre inévitable un recours massif au nucléaire. Objectif des TEPOS : 100 % d’énergies renouvelables d’ici 2050. La Communauté de communes Saône-Beaujolais est un des quatre TEPOS du Rhône avec celle des Monts du Lyonnais (voir l’édition N°2 de ce hors-série), la Communauté d’Agglomération de l’Ouest Rhodanien et le Syndicat de l’Ouest Lyonnais.
———— INVENTEUR DU MARATHON DE LA BIODIVERSITÉ
C’est Frédéric Pronchéry qui a inventé cet évènement de sensibilisation.
Frédéric Pronchéry : “Il y a six ans, j’ai proposé à l’agence de l’eau de subventionner notre marathon de la biodiversité. Le pari était de planter 40km de haies dans la communauté de communes Saône Beaujolais. On a atteint cet objectif depuis deux ans. Ils ont accepté à condition que la démarche puisse être duplicable sans forcément se douter du succès de la démarche. Cette demande était tout à fait cohérente avec notre état d’esprit d’innovation duplicable justement. L’Agence de l’Eau Rhône-Méditerannée-Corse nous a demandé de lui céder la marque. Ce qu’on a accepté gratuitement. Aujourd’hui, des grandes villes comme Lyon et Annecy organisent des marathons de la biodiversité mais je ne sais pas si leurs élus savent que le concept a été inventé à Belleville-en-Beaujolais.”
Photo @L.Favrot
Entretien publié dans le hors-série Développement durable de Mag2Lyon édition 2024,
Commande par ce lien : https://www.mag2lyon.fr/produit/hors-serie-developpement-durable-2024/