Encore classé parmi les grandes fortunes françaises, tant dans la presse lyonnaise que nationale, ce grand patron lyonnais, fondateur d’April, a en fait “disparu des radars” depuis quatre ans. Sa famille vient seulement de donner des nouvelles officielles de cet emblématique chef d’entreprise via un communiqué à Mag2Lyon, après un post linkedin de son ancienne épouse qui s’indignait de l’isolement dans lequel il serait maintenu.
Par Lionel Favrot
L’histoire de Bruno Rousset, c’est celle d’un surdoué, issu d’une famille de sept enfants de la Drôme, qui passe son bac à 17 ans. Poussé par un père exigeant qui l’encourage à faire des études, il se cherche avant de faire un IUT Actions commerciales et de débuter en 1978 dans une mutuelle puis de rejoindre une caisse de retraite, l’UPESE, dont il deviendra directeur adjoint. Sa carrière prend vraiment son envol en 1988 avec la création d’April où ses capacités de visionnaire et d’organisateur font merveille. “Un homme d’affaires exceptionnel”, se rappelle Michel Garcia, lui même chef d’entreprise, “Fait pour le business ! Comme on en voit peu. Du niveau de Jean-Michel Aulas.”
Un cadre qui l’a fréquenté plusieurs années souligne son humilité. “Toujours à l’écoute, sans souligner sa différence de fonction ni de richesse avec moi. Un vrai stratège capable de décliner une vision, des valeurs… Son management c’était de suivre le GOA : le grand objectif ambitieux pour nous mobiliser. Par exemple changer l’image de l’assurance avec April.” Et sa réputation de dureté ? “De temps en temps, il pouvait suivre une personne qui lui semblait brillante puis se fâcher, confirme cet ancien cadre d’April, Mais c’était un entrepreneur capable de reconnaître ses erreurs. Un jour, on a racheté une boite qui s’est avérée pourrie. Il l’a fermée dans l’année sans en faire une histoire.”
En 1997, April Group entre en Bourse. Bruno Rousset se lance aussi dans une activité de business angels avec Evolem puis un fonds de dotation. Et en 2008, c’est la création de la fondation April pour soutenir une santé “équitable”. Il sera aussi partie prenante de l’Entreprise des possibles d’Alain Mérieux et va créer avec ses enfants un fonds de dotation pour “les projets d’intérêt général œuvrant à la transition écologique et solidaire.” Avant de se retirer des affaires en 2019 par la vente de ses parts.
Une success-story à la lyonnaise ! Et après ?
Beaucoup de chefs d’entreprise contactés par Mag2Lyon qui l’ont à l’époque fréquenté, s’étonnent en effet de cette “invisibilisation“ du jour au lendemain. Sa biographie en ligne sur le site de son holding Evolem s’arrête en 2020. Son compte linkedin est encore actif mais le dernier post date aussi d’il y a quatre ans (voir la capture écran en illustration). Plus de trace de Bruno Rousset non plus ni dans la presse lyonnaise ni dans la presse économique qui lui consacrait des portraits très régulièrement. Exception faite des classements lyonnais ou français des grandes fortunes qui continuent à le citer comme si de rien n’était. Selon Challenge, qui l’écrit encore à l’été 2024, Bruno Rousset “dirige avec ses enfants son family office investi dans l’immobilier et dans près de 70 start-up, PME et ETI, dont… l’assureur April qu’il avait cofondé en 1988.”
“Une page se tourne”
En réalité, en octobre 2018, il a révélé à ses proches être atteint d’une dégénérescence fronto-temporale, diagnostic confirmé en février 2019. En parallèle, il va vendre ses actions dans April, opération qui se termine mi-2019. “Une page se tourne” écrit-il dans un tweet du 14 juin 2019, “avec la concrétisation hier de la cession d’April par Evolem”, en remerciant “tous ceux qui l’ont entouré depuis 30 ans dans cette aventure entrepreneuriale.” Aucun communiqué ni article ne fait alors mention de sa maladie. Il est donc censé être en possession de tous ses moyens à ce moment-là. Bruno Rousset précise dans ce même tweet qu’une « part significative de cette vente sera allouée à la Fondation Entrepreneurs de la Cité ».
Combatif comme à son habitude, il va se renseigner de manière très approfondie sur cette maladie considérée comme irréversible, notamment auprès d’une équipe de Montpellier, en pointe sur ce sujet. Son objectif : tenter des traitements expérimentaux et mettre en place un mandat de protection futur tant qu’il a encore sa lucidité. Un travail juridique qu’il initie alors avec sa notaire.
Bruno Rousset souhaite aussi se remarier avec Vanessa Rousset, son ancienne épouse, avec qui il s’est réconcilié après quelques épisodes tumultueux. Une date est fixée : le 23 juillet 2019 devant le maire du 6e arrondissement, Pascal Blache. Mais ses enfants forment une opposition à ce mariage. Craignent-ils pour sa fortune ? Pensent-ils qu’il n’a plus son jugement quelques mois après avoir conclu une opération financière de près d’un milliard d’euros ? Vanessa et Bruno Rousset ont prévu un contrat de mariage avec séparation de biens pour écarter tout soupçon car elle-même a mené son propre parcours entrepreneurial depuis leur séparation.
Plainte au pénal
Ce mariage n’a donc pas lieu et le 1er août 2019, ses enfants lancent une mise sous tutelle renforcée, mesure que Bruno Rousset dénonce par un mail selon Vanessa Rousset qui était en copie. Un an plus tard, le projet de mariage est abandonné, elle-même ayant renoncé à obtenir la main-levée de cette opposition, et la justice valide la mise sous curatelle renforcée de Bruno Rousset. Sa sœur, Brigitte Rousset, qui était prête à assumer cette responsabilité, est écartée au profit de ses enfants. “Il est enfermé chez lui”, dénonce Vanessa Rousset, “avec des conditions de vie qui ne lui correspondent pas.” Et elle ajoute : “il y a eu toute une période où Bruno nous bombardait toutes les deux de messages. Ils lui ont pris son téléphone et assez rapidement aussi, ils lui ont enlevé son ordinateur. La grande joie de Bruno, qui est un homme extrêmement cultivé, était de surfer sur Internet.” S’en suivent quatre ans de procédures diverses avec même une plainte au pénal des enfants contre Brigitte Rousset et Vanessa Rousset pour abus de faiblesse, le 26 septembre 2019.
Deux versions s’affrontent devant la justice au cours de cette procédure. Pour les enfants, Bruno Rousset a donné son accord à sa mise sous curatelle renforcée et les mails écrits pour dénoncer cette mesure seraient peut-être des faux car ce ne serait pas la tournure habituelle de ses phrases. De plus, selon eux, sa maladie lui aurait empêché d’écrire plus de deux ou trois lignes. En fait, il y a un mail de quelques lignes (voir en fin d’article) et un autre beaucoup plus développé.
Au contraire, Vanessa Rousset considère cette mise sous curatelle renforcée précipitée et exagérée car une curatelle simple lui aurait laissé plus de liberté. Et elle s’indigne que Bruno Rousset soit jugé capable début 2019 de mener une opération financière à plus d’un milliard d’euros pour la vente d’April, de même que de signer un prêt à son frère et des donations à ses enfants mais qu’on lui dénie le fait d’accepter de lui-même un mariage et de choisir le type de protection juridique dont il souhaite bénéficier à peine quatre mois plus tard. Une expertise médicale de septembre 2019 du Dr Sfar indiquait ne pas constater “d’affaiblissement intellectuel notable” et soulignait la capacité de Bruno Rousset d’exprimer alors sa volonté. Ce que va confirmer le Dr Charazac le 15 février 2020. D’autres experts étant plus réservés.
« Demandez à le voir”
La justice va classer sans suite cette plainte au pénal le 27 septembre 2021, considérant que “la mesure de curatelle renforcée a permis de protéger ce dernier et de mettre fin aux interventions inadaptées de Brigitte Rousset et de Mme Vanessa Ragot (Rousset).” En revanche, la justice ne tranche pas sur l’authenticité du mail de Bruno Rousset dénonçant sa mise sous curatelle. 859 pages d’enquêtes et d’interrogatoires pour renvoyer finalement les parties dos à dos. Pour ceux qui ont suivi de près ce dossier et parlent sous couvert de l’anonymat, la justice a préféré rester prudente, écartant l’abus de faiblesse mais choisissant la protection la plus stricte. “Bruno Rousset a été quelque part victime de sa fortune. Vu les sommes en jeu, la justice n’a pas voulu prendre de risques”, analyse un juriste. Ce qui est évident, c’est que les SMS intimes livrés au dossier par Vanessa Rousset pour se défendre, confirment l’amour que lui porte Bruno Rousset.
Mais Vanessa Rousset n’a pas cessé son combat contre cet “enfermement” voyant là “un scandale en matière de protection des libertés individuelles d’un grand patron lyonnais qui a été le créateur de sa fortune et qui est aujourd’hui totalement assujetti à ses enfants.” Au-delà du combat juridique, ce qu’elle réclame finalement, ce sont des mesures humanitaires.
Position qu’elle va finalement rendre publique dans un post Linkedin le 27 novembre 2024, suscitant de nombreux messages de sympathie. Un véritable appel à l’aide. “Personne n’ose le dire mais parfois l’enfermement vient de nos plus proches. Nos propres enfants… Bruno Rousset, mon ex-mari, le fondateur d’April, est enfermé chez lui sans ordinateur et sans téléphone depuis plus de quatre ans. Il souffre d’une maladie neuro dégénérative : la démence fronto-temporale mais il est encore lucide. (…) Depuis le jugement, Bruno est enfermé chez lui, il n’a plus accès à ses amis, il n’a plus de téléphone, il n’a plus d’ordinateur. Il n’a plus le droit de sortir déjeuner ou dîner dans son restaurant favori le President, même en étant invité. Vous tous qui avez estimé et honoré Bruno, cet immense entrepreneur. Ne le laissez pas tomber. Demandez à le voir. Invitez-le à déjeuner ou à dîner.”
Mag2Lyon a alors contacté ses enfants qui ont assuré ignorer l’existence de ce post. “Vanessa Rousset poste de nombreux messages sur LinkedIn, de quel post parlez-vous ?”, nous a répondu Nicolas Rousset qui a confirmé de nouveau quelques jours plus tard ne pas trouver cette publication, effectivement retirée après avoir enregistré plus de 15 000 vues.
Finalement, après une nouvelle sollicitation auprès des enfants de Bruno Rousset pour connaître leur position dans cette affaire, c’est ce mardi 7 janvier 2025 que nous avons reçu un communiqué par mail de leur part. Celui-ci confirme le diagnostic de cette maladie “voici maintenant plusieurs années”. Et en conclusion, on peut lire : “Nous remercions celles et ceux qui respecteront notre douleur et notre volonté de discrétion dans cette épreuve et restons naturellement ouverts à toutes les marques de sympathie et d’affection qui voudraient s’exprimer envers Bruno.”
Une forme d’ouverture dans cette affaire complexe ? Car finalement, ce que réclament son ex-femme et sa soeur, et affirment n’avoir pu obtenir, c’est de lui accorder davantage d’interactions sociales. “Si je sentais qu’il m’arrivait la même chose, je déposerais mes volontés chez un notaire, conclut Michel Garcia, et je citerais les amis que je veux continuer à voir.”