“Les hochets du pouvoir ne l’intéressaient pas”

Anne-Marie Comparini est décédée dans la nuit du 4 au 5 janvier dernier à l’âge de 77 ans. Adjointe de Raymond Barre à la mairie de Lyon de 1995 à 2001,  elle a accepté en janvier 1999 d’être présidente du Conseil régional avec le soutien d’une coalition du centre et de la gauche pour faire barrage à l’alliance de Charles Millon avec le FN six mois plus tôt. Un soutien sans participation puisque seuls des élus centristes composaient l’exécutif de la Région. Laurent Mazille, qui a été son collaborateur à la Région puis à l’Assemblée nationale lui rend hommage. Par Lionel Favrot

Comment Anne-Marie Comparini rejoint Raymond Barre qui a lancé sa carrière politique ?
Laurent Mazille : Son père a quitté l’Italie sous Mussolini pour s’installer dans le Vaucluse où Anne-Marie est née en 1947. Elle a ensuite fait Sciences Po et du Droit à Lyon. Elle a croisé Jean-Jack Queyranne et Michel Mercier pendant ses études. Ensuite, elle a été embauchée dans les années 70 à l’INA puis auprès du patron de l’ORTF. A l’époque, le gouvernement de Raymond Barre voulait réformer l’audiovisuel et comme tout projet de réforme de l’audiovisuel, cela a suscité des grèves. C’est dans ce cadre là qu’elle a été reçue à Matignon par Raymond Barre qui lui a proposé de l’accompagner dans les élections législatives en 1978 à Lyon où elle avait des attaches. Il y avait des points communs évidents entre eux dans la manière de faire de la politique : ils détestaient tous les deux la politique politicienne. En revanche, elle n’avait pas le même rapport difficile avec les journalistes. Elle était plus ouverte à la discussion.

Finalement, quelle style de femme politique était-elle ?
Son trait de caractère, c’était d’aller au fond des dossiers. On ne pouvait pas la prendre à défaut sur un aspect technique. Quand ce n’était pas son domaine de compétence, elle ne se prononçait pas. Ce qui la distinguait des hommes politiques qui ont un avis sur tout.
Certains me disaient qu’elle n’était pas assez “politique”. Moi, je leur répondais que s’ils souhaitaient des petites phrases, ils devaient s’adresser à d’autres élus. Il y a plein de candidats pour la “popol”, la politique politicienne.  Comme elle disait souvent : “les hochets du pouvoir, ça ne m’intéresse pas”. C’est certain.

Quand avez-vous rejoint Anne-Marie Comparini ?
C’était en 1998. Mon objectif était de rejoindre les élus qui s’opposaient à cette alliance de la Droite et de l’Extrême-Droite pour permettre la réélection de Charles Millon. Je suis centriste par engagement européen mais aussi par fidélité à des valeurs humanistes et républicaines. Anne-Marie Comparini a été élue Présidente du Conseil Régional en 1999 et je suis devenu son directeur de cabinet en 2000. Quand elle a été élue députée de Lyon en 2002, j’ai partagé mon temps entre l’Assemblée nationale et la Région.

Quand elle a accepté cette alliance avec la gauche pour barrer la route à Charles Millon, l’ambiance était extrêmement tendue !

Oui, on sentait la haine avec une violence verbale, mais pas seulement. On était à la limite de la violence physique. Avec les excités qu’on trouve aujourd’hui sur les réseaux sociaux, je m’interroge sur ce que cela aurait pu donner à l’époque !

D’où venait cette haine ?

Des élus de droite qui avaient accepté de réélire Charles Millon en juin 1998 avec les voix du FN. Ces irréductibles prêts à tout pour conserver le pouvoir. Ce n’était pas à l’Extrême-Droite que cette haine d’Anne-Marie Comparini était la plus perceptible car l’extrême-droite s’amusait à compromettre la Droite. Comme aujourd’hui où avec le Premier Ministre, elle est passée de la stratégie de la cravate, de la notabilisation, à celle de la corde.

A l’époque, à droite comme à gauche, on affirmait que les vrais patrons de la Région, c’était Raymond Barre alors maire de Lyon et Michel Mercier, président du Conseil général. Deux élus centristes qui la soutenaient face au RPR et dont elle aurait été la marionnette. Votre perception ?
Anne-Marie Comparini a rapidement coupé les fils pour reprendre votre expression. Raymond Barre a été son mentor mais c’est presque consubstantiel à une carrière politique. Anne-Marie Comparini a exercé son pouvoir à la tête de la Région dans des conditions très différentes de ces élus qui bénéficiaient de majorités écrasantes pour gérer leurs collectivités locales. Elle a gagné avec le soutien de soixante élus de gauche et de seulement douze élus centristes. Ce qui nécessitait un sens du compromis et du dialogue qui était assez naturel chez elle.

Est-ce qu’il y a eu un accord secret entre ce soutien de Jean-Jack Queyranne à la Région et un appui de Raymond Barre à Gérard Collomb pour lui succéder à la mairie de Lyon en 2001 ? Raymond Barre a officiellement soutenu la liste centriste aux élections municipales tout en considérant Gérard Collomb comme un homme politique “capable”, ce qui a beaucoup énervé la droite lyonnaise à l’époque ?
Non, pas du tout. J’ai aucun souvenir de cela. C’est plutôt Gérard Collomb qui est devenu centriste. Après la défaite d’Anne-Marie Comparini aux élections législatives, Gérard Collomb a fait en sorte qu’elle devienne présidente du Conseil de développement de la Métropole de Lyon pendant six ans. Et honnêtement, c’est son sens du travail et du dialogue qui a fait en sorte que toutes les organisations travaillent ensemble de manière très productive. Patrons, syndicats, ONG, associations… Aujourd’hui, beaucoup la regrettent.

Cette alliance d’Anne-Marie Comparini avec la gauche, c’était une sorte de soutien sans participation ?
Oui, finalement, c’est un peu ce que François Bayrou cherche aujourd’hui. Il y aurait aujourd’hui des leçons à tirer de la manière dont on a géré la situation à l’époque avec Anne-Marie et seulement une douzaine d’élus centristes dans une assemblée régionale de 157 élus.

La gauche n’avait pas fixé de lignes rouges pour reprendre une expression actuelle ?
Non, on n’utilisait pas ce terme là. Evidemment, en matière économique, en fonction de vos orientations, vous allez peut être plus pousser certains secteurs. Mais, entre nous, si vous avez une approche non politicienne et non idéologique des politiques régionales, elle peut faire consensus. Comme disait Anne-Marie, “les trains ne sont ni de gauche ni de droite”. Ce qu’on veut, c’est investir et faire en sorte qu’ils arrivent à l’heure. Personne ne votait contre les délibérations sur le ferroviaire. La Région Auvergne-Rhône-Alpes a été la première à organiser la régionalisation.

Et du côté d’Anne-Marie Comparini ?
Sans être intransigeante, elle avait une vision précise de l’aménagement du territoire et une volonté d’investir dans l’innovation et la formation. C’étaient ses grands chevaux de bataille avec l’animation des quatre moteurs pour l’Europe, c’est-à-dire d’une alliance entre des régions française, allemande, espagnole et italienne : Auvergne-Rhône-Alpes, Bade-Wurtemberg, Catalogne et Lombardie. Anne-Marie Comparini était une grande européenne.

Aucune crise pendant son mandat ?
Le seul moment où, finalement, on avait un gros risque politique à la Région, c’était la présentation du budget.

Quels points d’accord avait-elle trouvé avec la gauche pour faire passer ses budgets ?
Il y avait un point de règlement qui nous était favorable. Les oppositions ne pouvaient pas faire tomber l’exécutif sans présenter un budget alternatif donc sans être capable de dégager une majorité pour le voter. Comme il n’y avait pas de contre budget, notre budget passait. 

Cela pourrait servir aujourd’hui pour dépasser l’actuelle instabilité comportementale ?
Oui, je pense qu’il devrait être introduit dans la Constitution de la Ve République. Pour renverser un gouvernement, on devrait imposer aux oppositions l’obligation de présenter un contre-budget et ne pas se limiter au vote d’une motion de censure. Ça m’a énormément formé sur la manière dont on peut gérer un exécutif dans un tel contexte.

Et à l’Assemblée nationale ?
J’ai été trois ans avec elle, jusqu’en 2005, dont les deux dernières années à la commission des Lois. On a beaucoup travaillé sur le projet de loi porté par Raffarin, l’acte deux de la décentralisation pour pousser le renforcement des compétences des Régions, notamment sur le plan économique, face au lobbying des Départements au Sénat. C’est un travail qui sera repris ensuite dans la loi NOTRe puis dans la fusion des régions. Mais nous, à l’époque, on ne parlait pas de fusion des Régions. On était plutôt pour renforcer leur autonomie fiscale qui malheureusement a régressé depuis. Anne-Marie Comparini a aussi été chargée du rapport sur la fameuse directive Bolkestein. C’était l’histoire du plombier européen qui allait nous envahir. Tous les anti-européens se mobilisaient.

Comment a-t-elle perdu sa circonscription ?
Michel Havard a été élu député car il y a eu une vague de Droite. Anne-Marie Comparini était une femme déterminée qui ne se faisait pas acheter. Elle est toujours restée fidèle à François Bayrou et à l’indépendance du Centre. On lui a proposé un maroquin ministériel pour qu’elle laisse sa circonscription mais elle a refusé.

Vos chemins se sont ensuite séparés ?
J’ai rejoins Anne-Marie Idrac à la RATP et j’y suis toujours puisque je travaille à Transdev. On a continué à se voir régulièrement avec Anne-Marie Comparini à Lyon. Il y avait une forme de complicité, politique et philosophique, et d’amitié. Comme elle n’avait pas de famille, cela a renforcé nos liens.

Dans le privé, quelles étaient ses passions  ?
Ce qu’elle aimait, c’était venir à Paris pour voir les grandes expositions, notamment d’art contemporain. À Lyon, c’était l’opéra. Et puis, de temps en temps, elle allait à Florence parce qu’elle aimait beaucoup cette ville d’art. Je crois qu’elle y avait encore un cousin. C’est son héritage italien. Elle lisait régulièrement des livres sur les Étrusques et Romains, historique ou philosophique, et tous les jours, les Échos et un quotidien italien.

Quand Emmanuel Macron a émergé pour l’élection présidentielle de 2017, elle l’a suivi ?
Elle a tout de suite épousé effectivement cette logique de dépassement. Le fait qu’un jeune président européen puisse secouer certaines habitudes en France et incarne ces valeurs centristes.

Sans prendre ses distances comme Gérard Collomb après son départ de Ministère de l’Intérieur ? L’ancien maire de Lyon avait été le premier à dire qu’Emmanuel Macron était victime de son “hubris”…
Elle a été beaucoup plus indulgente avec le Président de la République. En 2022, elle a animé des comités de soutien à Emmanuel Macron à Lyon. En 2024, Elle a encore participé au lancement de la campagne d’Anne Brugnera dans la 4e circonscription et à celui de Thomas Rudigoz dans la 1ère circonscription.

Comment est-elle décédée ?
Elle est tombée fin novembre dans la rue en revenant d’une remise de Légion d’honneur. Ce qui lui a provoqué un tassement des vertèbres, lui imposant de rester à domicile. Elle souffrait beaucoup et ça l’a beaucoup diminuée. Mais j’ai déjeuné chez elle le lendemain de Noël et je m’attendais pas à son décès. Tout semblait aller bien. Elle devait refaire des exercices avec son kiné. Elle continuait à suivre l’actualité. Donc on n’était pas inquiets. Mais elle a eu une violente hémorragie cérébrale et elle s’est retrouvée en 24h dans le coma.

Photo ci-dessous : Anne-Marie Comparini et Laurent Mazille à noël 2016 à Lyon
(photo fournie par Laurent Mazille)

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