Trisomie 21 et scolarité “Une longue bataille”

1 chance sur 666 et non “1 risque sur 666”, c’est le titre du livre témoignage de Vanessa Arcos, mère de Valentine, qui s’est battue avec son mari pour que leur fille soit scolarisée dans un établissement “normal”. Ce combat va déboucher sur la création d’une formation inclusive à Eklya, dès la rentrée 2025.

Vous n’aviez pas eu d’alerte pendant la grossesse ? Vanessa Arcos : Non. J’avais 32 ans, et, selon les marqueurs sériques, j’étais statistiquement à “1 risque sur 666”. Tout ce qu’on pouvait mesurer in utero sur l’enfant était dans les standards, notamment la clarté nucale. On ne m’a donc pas proposé d’amniocentèse. Au niveau mondial, on est à 1 nouveau né porteur de trisomie 21 sur 800 naissances. C’est plus courant que ce qu’on croit. Comment l’avez-vous appris ? Deux heures après la naissance de Valentine, le pédiatre m’a dit qu’il avait une suspicion. L’analyse du cariotype en urgence l’a confirmé 48 h plus tard. On nous a demandé de rentrer chez nous car ce n’est pas une maladie. Sans plus d’informations. Au départ, cela fait peur car on a des image d’Epinal. On apprend ensuite que chaque porteur de trisomie 21 est différent. Comme tout être humain, aucun ne se ressemble. Ni dans le comportement, ni dans les apprentissages.

Vous regrettez ce manque d’accompagnement ? Oui. Les médecins ne peuvent rien vous dire de plus mais ils vous recommandent de ne surtout pas vous renseigner sur internet. Au départ, on passe par toutes les phases des émotions humaines, jusqu’à l’acceptation. On fait ce chemin tout seul, sans référent. Je vivais une vie de mère ordinaire avec un enfant sans problème, souriant, qui mangeait et qui dormait très bien. Mais avec ces questions obsédantes : comment on va faire plus tard ? Et surtout : est-ce que cela se voit ? La réponse est oui et c’est à double tranchant. Certaines personnes sont bienveillantes, d’autres sont vraiment lourdes. Cela révèle toutes les facettes de l’être humain !

Il y a pourtant des associations... Oui, pour les enfants et les adolescents mais aucune n’est calibrée pour accompagner les parents à la naissance. Comment gérer les répercussions sur sa vie, sur son couple et ses autres enfants ? On était dans une situation paradoxale. On aurait aimé rencontrer des gens et en même temps, on était tentés de se replier. On avait un garçon trop heureux d’avoir une petite sœur qui ne comprenait pas notre état. C’est pour cela que j’ai voulu témoigner dans ce livre des dix premières années de ma rencontre avec Valentine.

Vous soulignez la qualité de l’accueil de la Souris Verte pour les petits ? J’en garde un souvenir magnifique. Ils nous ont chouchoutés à un moment où on en avait bien besoin ! C’est une crèche adaptée pour tous les enfants porteurs de handicap, même totalement dépendants. Ils ne sont pas isolés car ils sont accueillis avec d’autres enfants. Le personnel est formé et tient compte des besoins de chaque enfant. Ce qu’a fait la Souris Verte pour ma fille est formidable. Cela l’a beaucoup aidée dans son contact avec les autres quand elle est arrivée en petite section. Des Souris Vertes, il en faudrait plein d’autres ! C’est aujourd’hui un centre de ressources et d’échanges.

Le grand saut dans l’inconnu, c’est l’arrivée à l’école ? Oui, c’est le moment de vérité. Comme souvent en France, on a beau faire des lois qui vont vers une égalité de traitement, cela dépend de la personne qui traite votre dossier. Quand quelqu’un n’a pas envie de s’embêter, il va vous sortir toutes les excuses possibles. La scolarisation, c’est souvent pour les parents le début d’une bataille qui ne cessera pas. Valentine avait déjà commencé à apprendre les syllabes avec son orthophoniste en grande section de maternelle qu’on lui a fait redoubler pour qu’elle soit prête au CP. On l’a fait sciemment car on savait qu’on nous attendait au tournant et qu’on pouvait nous dire à tout moment que c’était trop difficile pour elle. Pour ces enfants, les apprentissages sont plus lents et il faut en tenir compte.

Comment s’est passée la scolarisation de Valentine ? Très bien dans les premières années, en maternelle et en début de primaire. Les enseignants de l’école communale de Charbonnières étaient motivés. Valentine a appris à lire quasiment à l’âge normal et on ne nous a rien dit jusqu’au CM1.

Qu’est-ce qui s’est passé en CM1 ? Les maitresses de Valentine estimaient pouvoir continuer avec une assistante et les auxiliaires, notamment les orthophonistes, ont appuyé notre demande. Mais lors de la réunion annuelle pluridisciplinaire, l’enseignante référente pour ce secteur, donc la voix de l’Etat, nous a suggéré d’aller dans un IME, un Institut médico-éducatif. On a refusé car à partir de là, l’enfant rentre dans un parcours fléché dont il ne sort jamais avec des activités essentiellement occupationnelles. Certains enfants en IME n’apprennent jamais à lire ! Or, ces enfantsont besoin d’interactions et d’apprendre l’autonomie. C’est même l’intérêt de la société. Plus ils seront autonomes, moins ils coûteront cher à l’Etat !

Un conseil que vous n’avez pas suivi ! Non. On est allé en classe Ulis, à Saint-Joseph, un établissement privé de Tassin-la-Demi-Lune. Mais en 5 e , l’enseignante référente du secteur et la direction nous ont demandé placer Valentine en IME. Pourtant, les enseignants avaient une position pondérée et les professionnels alertaient sur le fait que Valentine allait perdre tout ce qu’elle avait appris.

Comment cela s’est terminé ? On a saisi la justice qui nous a donné raison en seulement trois mois, avec une indemnité à laquelle on n’avait pas accès auparavant. Actuellement, à 15 ans, en 3e, Valentine suit les enseignements fondamentaux en classe Ulis et d’autres cours sont communs avec tous les élèves.

Avez-vous préparé la suite ? Oui. En sortant du collège, Valentine aura terminé sa scolarité obligatoire. On a monté avec Eklya, la business School de la Chambre de commerce, un projet de formation inclusive à Ecully. Ce titre professionnel de niveau 3 enregistré à France Compétences, au ministère du Travail, correspond au poste d’employé polyvalent du commerce et de la distribution. Il s’agit de la mise en rayons. Un métier en tension.

Comment va se dérouler cette formation ? Elle sera adaptée de fonds en comble. L’inclusion sera double car les bac+3 et bac+5 de cette école vont les tutorer. Eux-mêmes deviendront des managers qui n’auront plus peur du handicap. Le but c’est d’essaimer en France via le réseau CCI. Les grandes enseignes de la distribution sont prêtes à jouer le jeu. Auchan est déjà à nos côtés.

Cela se passe mieux à Lyon qu’ailleurs ? Non. C’est beaucoup plus compliqué et plus lent depuis que le handicap est passé du Département à la Métropole de Lyon. On peut attendre des réponses un an ! Ils sont sous l’eau car les demandes de prise en charge se multiplient avec les TDAH et toutes les formes de Dys’ qu’on détecte davantage. Ils devraient adopter un traitement différencié selon le niveau d’urgence car on atteint un niveau critique.

Tout cela vous a demandé beaucoup de temps et d’énergie ! J’ai arrêté mon métier de DRH pour devenir rédactrice à domicile et m’occuper de ma fille. J’ai trouvé beaucoup de ressources dans la philosophie. Le handicap confronte à la fragilité de notre existence et en France, on ne sait pas la prendre en compte. Quand on voit l’état des Ehpad, ce n’est pas très encourageant.

Au final, votre bilan est sévère ! Les hommes politiques font plein de promesses mais il y a une espèce de ronron de l’Etat qui passe son temps à compliquer la vie des parents d’enfants porteurs de handicap qui ne s’en sortent pas s’ils écoutent les soi-disant sachants de l’Education nationale. A tout moment, notre enfant peut être éjecté de son établissement. C’est épuisant ! Vraiment ! Ce système névrosé formate déjà les gens ordinaires alors imaginez quand vous êtes différent ! Mais à force de parler du handicap sur le ton de la dépression ou de la révolte, on ne voit que le côté négatif. Heureusement qu’il y a des belles initiatives ! Et si j’ai fait ce livre, c’est aussi pour montrer tout ce qu’il y a de beau à vivre avec Valentine.

Dossier complet publié dans Mag2Lyon N°170 disponible à la commande par ce lien https://www.mag2lyon.fr/produit/mag2-lyon-2024-2025-3/ ou en numérique sur journaux.fr

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