Face au réchauffement climatique, on parle désormais de ville-forêt, avec un enjeu majeur : la désartificalisation des sols. Le CAUE Rhône- Métropole (Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) a consacré une exposition à la place de l’arbre. Entretien avec Samuel Auray, paysagiste au sein de cet organisme qui conseille les collectivités locales. Propos recueillis par Maud Guillot
Qu’entend-on par “ville-forêt”?
Samuel Auray: C’est une façon de re- penser la place de l’arbre en ville. Le milieu urbain est défavorable au développement de la nature et de la forêt en particulier. Les arbres y ont été plantés dans des parcs ou le long des routes, là où il y avait de la place. Ils ont dû s’adapter à la ville et y ont été malmenés. Cette ville-forêt, c’est un objectif à atteindre, avec un sens presque poétique ! L’idée, c’est de retrouver des espaces arborés qui offrent des respirations. L’idée, c’est de repenser la ville en priorisant cet objectif.
Est-ce que dans une agglomération comme Lyon, on a déjà des forêts ?
Oui, mais elles sont plutôt liées à des dé- laissés urbains, comme les balmes. C’est- à-dire qu’avant d’être protégées, elles ont profité de lieux difficiles à exploiter par l’homme, du fait de pentes ou de risques géologiques. Au-delà des balmes, il y a de grandes trames vertes et boisées le long des rivières, comme le corridor par le parc de la Feyssine jusqu’à Miribel. Là encore, des zones difficiles à construire… C’est donc par défaut qu’elles ont été sauvées ! Mais le jardinier et paysagiste de référence Gilles Clément l’a récemment rappelé dans une conférence: c’est une richesse pour Lyon et toutes les villes n’en bénéficient pas.
Mais à Lyon il y a aussi des grands parcs publics. Ils ne comptent pas de forêts ?
Si, les grands parcs comme Tête d’Or, Parilly ou Lacroix-Laval comptent des espaces boisés plantés dès leur origine et qui participent à leur composition paysagère. Mais Lyon a quand même une culture de l’espace public portée vers le minéral…
Est-ce que dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, d’autres villes ont mieux préservé leurs forêts ?
Je ne suis pas sûr qu’au XXe siècle, on ait eu ce souci de préserver les arbres en ville. Contrairement au XIXe siècle d’ailleurs, où il y a eu une vraie pensée autour de l’arbre avec Haussmann, qui a apporté une vision hygiéniste de l’arbre. Il avait conscience de son rôle en matière de bien-être et même de lutte contre la pollution. Les Trente Glorieuses ont balayé tout ça et ont provoqué une rupture forte avec l’arbre. Aucune ville n’y a échappé.
Pourtant on dit souvent que la région Auvergne-Rhône-Alpes fait partie de celles qui ont le plus de forêts…
Oui, on a des massifs forestiers, mais à l’écart des villes. Dans le Rhône par exemple la forêt se concentre essentiellement dans hauteurs du Beaujolais et dans les Monts du Lyonnais. La campagne qui entoure Lyon est d’abord très agricole et certains secteurs comme la plaine de l’Est-lyonnais manquent d’ailleurs d’arbres et de forêts.
Pourquoi estimez-vous qu’on doive tendre vers la ville-forêt?
La première urgence c’est la question du changement climatique. Il faut rendre nos villes résilientes et surtout vivables dans les années à venir. L’arbre est le meilleur moyen de lutter contre les îlots de chaleur. Il permet aussi de lutter contre la pollution atmosphérique. De plus, de nombreuses études ont montré que l’arbre et le végétal ont un impact sur notre bien-être et notre qualité de vie.
Voyez-vous d’autres enjeux ?
Oui, celui de la restauration de la biodiversité: la ville a un rôle majeur à jouer dans la lutte contre l’érosion des espèces. Il y a enfin l’enjeu de la perméabilité des sols et de la préservation de la ressource en eau. Une ville verte et perméable favorise la re- charge des nappes phréatiques et participe à la gestion des épisodes pluvieux exceptionnels. C’est d’ailleurs cette question de la perméabilité qui est centrale et première.
Il faut donc commencer par réduire l’artificialisation des sols ?
Oui, il faut pouvoir planter des arbres en pleine terre. Or, on part sur des décennies d’artificialisation des sols. Ce qui pose de sérieux problèmes de fertilité. Il faut re- donner de la vie dans le sol. Un arbre, ce sont des échanges gazeux entre l’air et le sol! Aujourd’hui les eaux de ruissellement partent dans les réseaux. Elles ne s’infiltrent pas pour favoriser le végétal.
Donc vous êtes favorable par exemple au programme de “débétonisation” des cours d’écoles…
Complètement. Le CAUE accompagne d’ailleurs le département du Rhône sur ses collèges. Les cours des établissements scolaires peuvent devenir des îlots de végétation, pour les élèves, mais aussi leur quartier en envisageant une ouverture sur les temps non scolaires… Ils peuvent jouer ce rôle de ponctuation avec des micro-forêts.
Mais est-ce qu’il y a vraiment de la place en ville pour accueillir toutes ces forêts?
Il y a une réflexion de fond à mener pour éviter les conflits d’usage, notamment avec le logement. Il faut repenser la ville sur le long terme, revoir les équilibres. On voit bien que certaines métropoles comme Berlin parviennent à conserver des espaces forestiers à l’intérieur en créant des archipels. Pour cela, il faut travailler sur la forme des forêts.
Quelle forme les forêts urbaines peuvent-elles prendre ?
On n’est pas obligés d’avoir des milliers de m2 de forêts. La haie ou le massif linéaire sur le modèle du bocage agricole, c’est déjà un élément intéressant. Comme ce qui a été mené sur le boulevard Garibaldi à Lyon, avec des strates arbustives et herbacées. On parle aussi de boqueteaux urbains : des micro-boisements. Mais ça ne peut fonctionner que s’il n’y a pas d’intrusions humaines, donc de piétinements à l’intérieur, sinon on stoppe la dynamique forestière.
On voit aussi des immeubles construits avec des arbres dessus…
Je suis prudent vis-à-vis de ces arbres plantés sur du bâti. Pour répondre aux besoins de l’arbre, les moyens techniques nécessaires sont importants. L’architecture elle- même voit son dimensionnement augmenter avec une hausse de l’impact carbone de la construction. Ce n’est donc pas la première réponse.
Est-ce que le Plan Canopée proposé par la Métropole lyonnaise est une bonne réponse ?
Oui, il est parti de la charte de l’arbre, un dispositif territorial partenarial qui associe plus de 100 acteurs publics, privés et associatifs. Son objectif est de promouvoir les actions en faveur d’une meilleure connaissance des arbres afin d’assurer leur protection et leur développement. Ce Plan Canopée est ambitieux quant aux plantations mais il reconnaît que l’espace public ne suffira pas. Il faut aussi compter sur les domaines privés. Il vise donc à mobiliser les citoyens à travers une démarche participative pour qu’ils deviennent moteurs du développement de l’arbre en ville.
Mais est-ce que l’implantation de ces arbres ne risque pas de coûter cher ?
Si on parle de foresterie urbaine, il faut peut-être s’affranchir ou s’éloigner de la vision de l’arbre d’ornement, une approche qui coûte cher en entretien. À l’inverse, l’approche forestière peut être rentable ou du moins ne pas coûter. Pourquoi ne pas adopter des principes de gestion forestière durable, c’est-à-dire en équilibre entre la vie et la pérennité de l’écosystème forestier et son exploitation à des fins économiques ? La forêt urbaine n’ouvre-t-elle pas des perspectives de création de filière économiques locales durables autour des richesses qu’elle génère et notamment le bois ?
Faut-il aussi diversifier les essences d’arbres ?
Oui, on a tous l’image des platanes plantés massivement le long des routes, ou encore des ormes. Mais ces cultures mono-spécifiques les rendent vulnérables, aux maladies comme aux ravageurs. De plus, le réchauffement climatique fragilise certaines essences en ville. Il ne faut pas oublier que la réverbération du bâti entraîne une sécheresse atmosphérique néfaste pour les arbres.
Quelles essences est-ce que vous préconisez ?
C’est difficile à dire car on expérimente encore aujourd’hui. Mais il existe des valeurs sûres comme le Micocoulier de Provence qui est déjà planté à Lyon. Il me semble aussi intéressant d’entrouvrir la porte à des dynamiques spontanées de végétalisation. En fait, les successions écologiques conduisent tout site laissé sans gestion ou intervention humaine vers la forêt avec une plus ou moins grande vitesse. Certaines espèces d’arbres jugées “indésirables” et dites “envahissantes” comme le Robinier Faux-acacia, essence à la floraison particulièrement mellifère pour les insectes, ou l’Ailanthe ont d’incroyables capacités à s’adapter à la ville, à coloniser des milieux les plus difficiles, à pousser très rapide- ment et à produire de la biomasse.
Faut-il privilégier des essences autochtones ?
Je pense qu’il est plus intéressant de parler d’approvisionnement local. Un chêne acheté dans une pépinière en Hollande n’aura pas le même patrimoine génétique qu’un chêne qui pousse sur une colline du Beaujolais. Il n’aura pas les mêmes capacités d’adaptation. Le Plan Canopée propose de créer une pépinière d’approvisionnement locale pour alimenter les aménagements paysagers d’espaces publics