Installée à Arnas, dans le Beaujolais, X’sin a lancé des prises d’escalade connectées Luxov qui révolutionnent la pratique de ce sport en salle. Sélectionnée pour les courses de vitesse des Jeux Olympiques de Tokyo, cette innovation a dû affronter un certain scepticisme à son lancement. Mais Denis Garnier, PDG de cette start-up a persévéré. Témoignage. Propos recueillis par Lionel Favrot
Denis Garnier: “J’ai toujours eu la graine de l’innovation. Après un diplôme d’ingénieur généraliste à l’ENI Belfort puis un MBA à San Francisco, je voulais travailler dans la robotique. J’ai eu la chance
d’être recruté par la filiale de Renault qui concevait les robots de ses usines. Ma carrière professionnelle s’est ensuite orientée vers des postes de contrôleur gestion et de directeur financier. J’ai restructuré et sauvé plusieurs entreprises avant de devenir directeur général de Computacenter France que j’ai passé de 150 à 1350 salariés. De très belles années! J’étais dirigeant salarié et en 2006, j’ai souhaité devenir patron en rachetant un petit groupe de PME, dont la principale activité était l’intégration d’antennes téléphoniques, notamment en milieu urbain, et la fabrication d’éléments standards pour les poser, sur des mats ou en toiture.
Parmi ces activités, il y avait aussi Volx, une entreprise de référence pour la fabrication de prises d’escalade. D’ailleurs, son nom vient d’un petit village du Lubéron qui abrite un spot d’escalade. En 2011, j’ai constaté que tous mes concurrents européens transféraient leur fabrication dans des pays de l’Est, en particulier en Bulgarie. Je me suis dit qu’il serait difficile de résister à cet écart de compétitivité mais je ne voulais pas délocaliser. Je suis donc allé m’immerger dans plusieurs salles d’escalade et j’ai observé les pistes d’innovation. Mon expérience m’avait déjà donné une fibre digitale et je me suis dit qu’on pouvait rendre un mur d’escalade plus dynamique et plus flexible avec des prises connectées. Je voulais absolument que mon système soit adaptable sur des murs existants pour minimiser les coûts et favoriser sa diffusion.
La première idée a été de concevoir un mur présentant plu- sieurs voies dont les difficultés étaient signalées par la couleur des prises éclairées par des leds. L’intérêt était d’élargir les possibilités avec une bibliothèque accessible par ordinateur. Il suffisait de sélectionner la difficulté pour la voir s’illuminer. Avec différents partenaires dont le Laboratoire Ampère d’Ecully, qui associe l’université de Lyon, l’Insa et le CNRS, on a mis au point un transfert d’énergie par induction grâce à deux bobines, l’une dans le mur et l’autre dans la prise. On pouvait donc câbler des murs déjà construits.
EARLY ADOPTERS
On a présenté nos premières solutions Luxov en 2016. C’était une innovation de rupture car il n’y avait rien d’équivalent. Au départ, on a affronté un vrai scepticisme. Le milieu de l’escalade français était tenu par les mêmes personnes depuis les années quatre-vingt, souvent des montagnards dont certains étaient déjà opposés à la Via Ferrata, ces voies équipées en pleine nature. Alors des prises connectées ! Ils considéraient que l’escalade devait rester un sport difficile et dangereux. Ce qui pouvait faciliter l’accès ou l’entraînement à leur discipline, suscitait chez eux une certaine défiance. Ils craignaient aussi que ces outils digitaux coûtent trop cher dans un milieu où les moyens restaient encore faibles à l’époque. De plus, l’escalade étant déjà en croissance, leurs préoccupations allaient d’abord vers l’ouverture de nouvelles salles plutôt que de renouveler sa pratique. Mais on a trouvé des gens plus réceptifs, les fameux early adopters ouverts aux innovations. Et on a été mieux ac- cueillis dans les pays asiatiques qu’en France. Ce sport a évolué avec de plus en plus de pratiquants en ville. La pratique des blocs a aussi explosé ces dernières années. D’ailleurs, aux Jeux Olympiques, l’escalade est classée parmi les sports urbains, ce qui est encore difficile à accepter pour certains.
J’ai donc décidé de persévérer et j’ai continué à investir en autofinancement. On a continué notre chemin de R&D et ra- jouté une fonctionnalité: le capteur de temps. Quand le grimpeur touche nos prises, on enregistre le moment exact de sa préhension ainsi que sa durée. Cette gamme “touch” est utile à l’entraînement mais aussi en compétition pour mesurer des temps intermédiaires. On a également imaginé des déclinai- sons ludiques.
Finalement, on a aujourd’hui cinq gammes qui correspondent à cinq marchés cibles : le Fun, avec des prises directement interactives, qui s’allument et changent de couleur, plutôt destinées à des aires de jeux pour enfants, par exemple dans des centres commerciaux, le gaming qui s’adresse davantage à des adolescents, avec des scenarii de jeux élaborés et du scoring, l’exercising qui permet d’éclairer des voies en salle d’escalade et de partager ses performances avec ses amis, ou encore le training, pour l’entraînement mais aussi le competing pour la compétition. Ce dernier système mémorise aussi l’itinéraire des grimpeurs. Il faut savoir qu’une course de vitesse en escalade se déroule en duel et ne dure que 5 à 6 secondes. C’est donc très difficile de la comprendre en direct. Notre système permet de les reconstituer. Cela répond aussi à un impératif fortement ressenti par toutes les fédérations professionnelles, qui est de rendre les sports plus plaisants à regarder. Ce qui nécessite de les rendre plus compréhensibles que par le passé. La fonction broadcasting de notre système climbing event manager crée donc une caméra virtuelle pour faciliter le commentaire des spécialistes. On visualise où un grimpeur a perdu du temps et de l’énergie, pourquoi il est tombé sur telle prise, ou comment il a réussi à un autre endroit. À l’entrainement, cela aide à détecter les défauts et points d’amélioration. On mobilise désormais des chercheurs spécialisés dans l’amélioration des performances.
INTERNATIONAL
Aujourd’hui, on travaille avec la Fédération internationale de l’escalade. Nos prises ont équipé les Jeux Olympiques de la jeunesse de Buenos Aires et elles ont été retenues pour les Jeux Olympiques de Tokyo. En 2019, on a eu pas mal d’ouverture à l’international. On a vendu au Japon, en Chine, en Corée, en Australie, un peu en Angleterre… On travaille actuellement avec la Russie. Je ne veux pas encore parler de décollage mais on sent un fort intérêt, les portes s’ouvrent et des personnes viennent à notre rencontre. Même si le Covid, et le report des JO ne nous ont évidemment pas aidés. On a aussi conçu un logiciel pour préparer en 3D un site de compétition, le mur mais aussi tout son environnement, de l’emplacement des caméras à celui des bannières. Les ouvreurs des JO ont travaillé grâce à cet outil d’architecture pour anticiper et échanger en virtuel même s’il est indispensable de procéder aux derniers ajustements en physique. Aujourd’hui, il y a d’autres systèmes de digitalisation mais on reste le seul à proposer un système aussi large et aussi flexible en 3D. Je me considère un peu comme le petit Elon Musk de l’escalade ! À partir d’un moment où on voit du sens dans une innovation, on doit investir et attendre le moment où elle semblera une évidence incontournable. D’ailleurs, je roule en Tesla. Cela correspond à l’image technologique de nos pro- duits mais ce n’est pas la seule raison. Je vis à la campagne et je veux lutter contre la pollution. Je me dis aussi que si les gens qui ont un peu de moyens, ne montrent pas la voie de la transition énergétique, on n’y arrivera pas.”
Cet article m’a intéressé. Je souhaite acheter le magazine dans lequel il a été publié : c’est par ici !