Plus de 15 millions d’appareils de gros électroménager sont vendus en France chaque année. Il est interdit de les jeter hors d’une filière agréée type déchèterie et les vendeurs sont tenus de les reprendre quand ils livrent un modèle neuf. Une partie pourrait connaître une seconde vie. C’est ce que démontre ENVIE, un des pionniers de l’économie circulaire. Reportage. Par Lionel Favrot
Il est à peine plus de 14h quand on débarque un vendredi, allée du Mens à Villeurbanne, sur le site d’ENVIE Rhône. Les camions reculent jusqu’aux quais de déchargement en un balai régulier. Les chauffeurs collectent petits et gros électroménagers auprès d’une trentaine de déchèteries de l’agglomération lyonnaise, selon un planning bien précis, mais aussi d’environ 150 magasins type Darty, qui ont eux-mêmes récupéré ces appareils auprès de leurs clients. Les agents de quai pèsent la quantité déchargée qui sera facturée à Eco-Système, le principal client d’Envie. Cet éco-organisme collecte l’éco-participation pour financer la collecte et le recyclage. “700 tonnes arrivent chaque mois ici”, précise Nicolas, qui supervise cette première étape. Le petit électroménager représente environ 250 tonnes du total. Très peu de ces appareils s’avèrent réparables. Certains sont mêmes conçus pour être indémontables. Beaucoup ont une valeur marchande si faible que ces équipements semblent devenus à leur tour des consommables à l’image des imprimantes bon marché. Nicolas est aux premières loges de ce grand balai du gaspillage. Est-ce que les comportements des consommateurs changent avec la prise de conscience écologique? “Pas vraiment. C’est même désolant. On récupère des appareils électroménagers qui n’ont que 4 à 5 ans”, témoigne-t-il. “C’est jeune”, renchérit Matthieu Frieh, chargé de communication du Groupe ENVIE Rhône-Alpes. Effectivement, les fabricants affirment généralement travailler sur une durée de 10 ans et l’allemand Miele annonce 20 ans. Christopher Santerre et Julien Phedyaeff, deux jeunes designers français, ont même lancé en 2016 “L’Increvable”, un projet censé déboucher sur une machine à laver conçue pour durer 50 ans grâce à des matériaux de fabrication robustes mais aussi un changement de pièces facilité. Ils restent incapables d’annoncer une date de commercialisation faute, selon eux, d’avoir trouvé des investisseurs et des partenaires industriels. À partir du 1er janvier 2021, un indice de réparabilité doit être apposé sur les appareils électriques et électroniques pour que les consommateurs puissent privilégier les modèles les plus durables. Tous ne sont pas encore concernés.
Retour donc sur la situation actuelle sur les quais d’ENVIE: ses collaborateurs viennent repérer soigneusement les appareils qu’ils pourront réparer dans leurs ateliers. Combien peuvent-ils en sauver? Environ 4 % en moyenne précisent-ils. Ce taux peut monter à 8-10 % dans certaines collectes réalisées auprès de chaînes spécialisées. Davantage pourraient être récupérables mais ils n’en ont pas la capacité humaine et matérielle. Pour- tant, ENVIE s’est spectaculairement déve-loppé depuis ses débuts. Les appareils non retenus, notamment parce que leur châssis est trop rouillé ou parce qu’une réparation serait trop coûteuse, sont dépollués et dé- montés pour récupérer tout ce qui peut être recyclable. Ces matériaux repartent ensuite dans le cycle de fabrication du neuf, ce qui réduit la consommation de matières premières. Si on considère que 450 tonnes de gros électroménagers arrivent sur ces quais par mois, avec un poids moyen de 50 kg par unité, c’est de 360 à 720 appareils sur 9000 qui seraient reconditionnés. Une paille, surtout si on considère qu’une partie aurait pu durer plus longtemps s’ils avaient été mieux entretenus ou simplement réparés en changeant une petite pièce.
“Les arrivages s’intensifient au moment des grandes opérations promotionnelles type black friday”, souligne Nicolas. Regrettant ce phénomène, ENVIE a décidé de lancer le GreenFriday pour promouvoir une consom-mation durable. Une fois repérés, les appareils les plus intéressants sont acheminés dans l’atelier géré par Anselme. “Je ne suis pas là par hasard. J’ai fait mon mémoire sur l’obsolescence programmée”, révèle-t-il en montrant qu’il utilise pour sa part un Fairphone, un appareil conçu pour justement être facilement réparable et durer plus longtemps. C’est même le seul smartphone qu’on trouve dans les boutiques d’Envie. Mais Anselme ne veut pas jeter la pierre ni aux fabricants ni aux consommateurs. “La mise en main est souvent succincte. Beaucoup d’appareils dureraient plus longtemps s’ils bénéficiaient d’un meilleur entretien”, as- sure-t-il. ENVIE propose ainsi une visite diagnostic privilégiant la réparation avant la vente. Il faut préciser que, selon plusieurs études, 40 % à 70 % des réparations provoquant une panne d’un gros appareil électro- ménager ne nécessiteraient même aucune pièce nouvelle. Ce pourcentage est le plus élevé pour les sèche-linge, les lave-vaisselle et les réfrigérateurs.
Une fois dans les mains de l’équipe d’Anselme, les appareils sont réparés et nettoyés avant d’être pris en photo pour le site internet. Ils sont ensuite regroupés pour correspondre à un chargement de camion et être ainsi acheminés jusqu’à la boutique lyonnaise d’ENVIE, également présent à Firminy, Saint-Etienne et Roanne dans la Loire. Chaque entité d’ENVIE se diversifie désormais. Dans la Loire, c’est l’informatique. Dans le Rhône, c’est la réparation des écrans plats. “Il a fallu tout d’abord mettre au point des caisses préservant ces appareils lors de la collecte”, précise David, responsable du département multimédia et TV. En effet, ces appareils arrivaient en vrac jusque-là, donc souvent cassés. Or, si la dalle est atteinte, la réparation est complexe et rarement rentable. “60 % des réparations de télé concernent en fait des leds de rétroéclairage”, ajoute-t-il. Dans son atelier en mezzanine au-dessus du gros électroménager, on aperçoit aussi des micro-ondes, des cafetières, des robots-chauffants multifonctions, ou encore de la Hi-Fi comme des barres de son. “Pour un appareil à 30 euros, la réparation paraît difficile mais on a eu des petites enceintes audio en panne pour un fusible qui ne coûtait que 30cts! Faut-il encore croiser un bon technicien pour le diagnostiquer. Quant aux appareils plus chers, type les robots de cuisson à 300 ou 400 euros, on trouve même de la pièce détachée”, complète ce collaborateur permanent d’ENVIE qui encadre trois salariés en insertion. En effet, ce groupe de l’économie sociale et solidaire n’oublie jamais que sa vocation première est d’offrir des parcours qualifiants à tous les postes.
ENVIE passe aujourd’hui pour un opérateur quasi-industriel de la filière du reconditionnement. Pourtant, il ne peut traiter qu’une partie du gisement. Ce qui laisse augurer ce qu’un changement d’échelle entraînerait, tant sur le plan de la durabilité des appareils, donc de la préservation des ressources et de l’impact carbone de leur production, qu’en termes d’emplois.