Originaire de Chaponost, près de Lyon, Jérôme Mouterde s’est lancé à 23 ans dans la mise au point de panneaux solaires hybrides permettant à la fois de produire de l’électricité et de réchauffer l’eau. Deux fonctions qui étaient jusque là dissociées. Et c’est en Auvergne-Rhône-Alpes qu’il a installé leur fabrication. Propos recueillis par Lionel Favrot.
Comment avez-vous développé ces panneaux photovoltaïques hybrides qui permettent de produire de l’électricité et de chauffer l’eau ?
Jérôme Mouterde : Pendant mes études à Centrale Paris, je me suis intéressé à tout ce qui permettait de rendre les bâtiments plus économes en énergie. Laetitia Brottier qui suivait le même cursus, a fait des stages dans ce secteur de l’énergie solaire et a eu l’idée d’un panneau photovoltaïque hybride. A la sortie de l’école, on s’est associés pour créer DualSun. Mais de l’idée à l’industrialisation, il y a tout un chemin à parcourir. C’est même la principale difficulté !
Qu’est-ce qui vous a permis de mener ce projet à terme ?
On a vite quitter Paris pour travailler avec l’IUSTI, un laboratoire du CNRS installé à Marseille qui est spécialisé dans les transferts thermiques. Ce qui est au coeur de notre système. Ce travail de R&D a nécessité trois ans, de 2010 à 2013. Ensuite, il nous fallait construire un prototype à l’échelle 1 pour le tester et réaliser les premières installations. C’est là qu’on a trouvé le groupe DM2F, un partenaire qui croyait vraiment à notre innovation et qui était capable d’industrialiser sa fabrication pour produire en série.
Vous étiez vraiment les premiers à avoir cette idée ?
Non, d’autres l’avaient eu avant nous dans des laboratoires. Certains avaient publiés leurs recherches et on est allés les rencontrer. Le courant est bien passé avec eux.
Mais pourquoi c’est vous qui avez réussi ?
Parce qu’on a été à 200% dans notre projet. Je crois que le parallèle entre l’entrepreneuriat et le sport de haut-niveau est assez pertinent. Je ne dis pas que le talent ne compte pas mais ce qui fait la différence, c’est d’abord le travail, tout comme un sportif doit s’entraîner quotidiennement. Pour sortir un produit comme ce panneau, faut vraiment s’accrocher et se montrer très résilient. On a développé notre propre technologie, déposé des brevets… Un vrai parcours du combattant !
Comment avez-vous trouvé des financements ?
On dispose en France de mesures d’accompagnement pour lancer une entreprise. Il faut le reconnaître. On a pu bénéficier de dispositif d’aides à l’innovation auprès d’OSEO, puis de BPI France, de l’ADEME, d’aides régionales… On a aussi été bien aidés par les concours consacrés à l’entrepreneuriat et à l’innovation. Certains nous ont permis de financer notre projet car il y avait des prix à la clé et tous nous ont permis de nous faire connaître et d’avoir des contacts pour réaliser de beaux projets.
Qu’est-ce que vous a apporté cette notoriété ?
On a été retenu par Bouygues pour équiper son siège social, Challenger, de panneaux DualSun. L’architecte Philippe Starck a aussi considéré que c’était la solution la plus performante pour sa maison à énergie positive construite dans la région parisienne. On a également réalisé de beaux projets avec Dalkia.
N’avez-vous pas rencontré trop de scepticisme à l’époque ?
Mais du scepticisme, on a rencontre encore aujourd’hui ! Le solaire suscite des réactions contradictoires en France. D’un côté, les Français veulent s’équiper de panneaux solaires et de l’autre, le gouvernement est plutôt enclin à pousser au développement de l’énergie nucléaire. Mais le marché est là et même en pleine croissance. C’est une lame de fond qui emporte tout sur son passage. Cette énergie est aujourd’hui rentable. De moins en moins chère, elle est simple à installer sur toutes les maisons. D’ailleurs, on a réalisé des levées de fonds en 2012, 2014 et 2017.
Pourquoi avoir choisi Jujurieux dans l’Ain pour la production ?
Parce que c’est le principal site de notre partenaire, le groupe DM2F, et il est parfaitement adapté pour produire nos panneaux hybrides. On y fabrique la pièce maîtresse de nos panneaux.
Mais vous ne produisez pas tous les composants de vos panneaux photovoltaïques dans l’Ain ?
Non. Produire la partie photovoltaïque exige des investissements supérieurs. C’est la prochaine étape qu’on espère atteindre. On pourrait également implanter cette fabrication à Jujurieux. Pour l’instant, cette partie photovoltaïque vient d’Europe de l’Est ou de Chine mais on garantit des critères de qualité constants.
Le marché de l’énergie solaire a aussi souffert d’installateurs peu scrupuleux…
Nous, fabricants, on peut faire les meilleurs panneaux du monde, le client sera insatisfait s’ils sont mal installés. C’est pour cela qu’on a développé un réseau d’installateurs agréés. C’est essentiel pour notre crédibilité.
Vendez-vous plutôt à des particuliers ou des professionnels ?
Nous, on vend à 100% à des installateurs professionnels mais au final, nos panneaux équipent à 80% des maisons et 20% du collectif. C’est normal car le marché du particulier est beaucoup plus rapide alors qu’il faut trois à quatre ans pour un projet collectif ou professionnel. Notre chiffre d’affaires s’élève aujourd’hui à 5 millions d’euros. Soit environ 60 000 panneaux vendus par an. 20% part à l’export. Notre premier marché hors France, c’est les Pays-Pas mais on installe aussi nos panneaux en Australie, à Hong-Kong ou aux Etats-Unis.
La concurrence asiatique pourrait-elle vous marginaliser à terme en reprenant une technologie similaire tout comme c’est arrivé aux fabricants de panneaux solaires classiques il y a une dizaine d’années ?
On conserve notre avance technologique, protégée par nos brevets. Mais ce qui compte aussi beaucoup, c’est la réputation de notre marque et de son réseau d’installateurs agréés qu’il serait très compliqué à reproduire, même en mettant beaucoup d’argent.
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