Depuis le 6 avril, Saint-Étienne accueille la 12e Biennale du Design sur le thème des bifurcations. Au programme, 7 expositions à la Cité du design, plus de 200 designers représentés et pour la première fois 4 mois d’ouverture. Cet événement s’adresse aussi aux familles grâce à la cabane du design et à un skatepark design. Interview de Thierry Mandon, directeur de la Cité du Design. Par Clotilde Brunet
2022, s’agit-il d’une édition reportée ?
Thierry Mandon : Cette édition a, en effet, été reportée d’un an. Elle était déjà prévue sur le même format c’est- à-dire quatre mois d’ouverture. Les précédentes éditions duraient plutôt 3 semaines. C’était très intensif! Il y avait des événements en permanence. De nombreuses personnes n’avaient pas le temps de s’organiser pour venir. On s’attend à une fréquentation plus importante du public de la région. Ça nous permettra d’amortir davantage les expositions. Ce sont la conception et la mise en place qui coûtent cher : les commissaires d’exposition, les scénographies…
Vous aviez déjà choisi cette thématique des “bifurcations”?
Oui, cette thématique a été arrêtée en 2019. C’est l’aboutissement de réflexions qu’on anticipe sur des besoins de changement dans notre société. En 2018, on avait abordé le bonheur; en 2017 le travail; en 2019 les rapports entre l’individu et le collectif. Le design ne s’intéresse pas seulement à la fabrication d’objets et de services… Son activité s’insère également dans des grandes questions de société. On ne peut pas dire que le Covid ait rendu ces réflexions moins actuelles !
À quoi faut-il s’attendre ?
Les bifurcations désignent les changements de cap d’un individu ou d’une société. On voit très bien les nouvelles directions qui se dessinent actuellement: les choix de travail, les mobilités, l’habitat, l’égalité homme-femme, la durabilité… Le design peut aider à se poser les bonnes questions et à trouver quelques solutions.
Ces questions de société transparaissent dans le design selon vous ?
Ça fait longtemps que les designers, qui sont des gens très intuitifs, présentent un certain nombre de changements. Lors de la Biennale du Design 2017, on a par exemple traité les questions du travail à distance, du télétravail, des tiers lieux… De plus les regards sur les grands changements actuels sont complètement différents dans d’autres régions du monde. C’est pour cela qu’on a invité l’Afrique.
Quels regards les designers africains peuvent-ils nous apporter ?
Ils intègrent la rareté des ressources, ils sont beaucoup plus frugaux. Ils sont plus portés sur la récupération, les circuits courts… À mon avis, ils vont nous apporter beaucoup dans les années qui viennent. Ils sont très créatifs, ils réussissent à faire de belles choses avec peu de ressources.
Vous avez décliné le sujet de l’habitat sur plusieurs expositions…
Oui, il est décliné sur deux expos. L’une conçue par des commissaires anglaises qui travaillent beaucoup sur ces questions : qu’est-ce qu’un habitat connecté ? Qu’est-ce qu’un habitat où les hommes et les femmes partagent les tâches ? Qu’est-ce qu’un habitat où l’on travaille ? La seconde expo “Maison soustraire” a été réalisée avec l’école urbaine de Lyon. La designer Mathilde Pellé a passé six mois dans une maison. Elle enlevait tous les jours des objets sous l’observation de sociologues. Soit elle n’avait pas besoin de cet objet, soit elle en n’avait pas besoin tel qu’il était fabriqué. Elle s’est par exemple attaquée à sa balayette et à sa pelle car elle s’est aperçue qu’il y avait trois fois trop de matière par rapport aux besoins de son logement. Ce sont autant d’économies de ressources. Elle mène une réflexion sur ce qui est essentiel.
Le minimalisme est à la mode. Mais certains objets inutiles d’un point de vue fonctionnel nous rendent heureux…
Je ne fais pas l’apologie de la frugalité. Je fais l’apologie du désir libéré. Si vous n’êtes pas victime de la surconsommation publicitaire, vous avez le droit d’avoir envie de tel objet parce qu’il vous plaît ou qu’il vous rappelle un souvenir, même s’il est superflu. Le sujet, c’est le libre arbitre.
Pourquoi avez-vous choisi de consacrer une des expositions à l’automobile ?
La voiture est à la fois un outil de mobilité et une propriété qui identifie les individus. L’histoire de la voiture est en train de s’estomper. On réfléchit de plus en plus à la voiture comme outil permettant de se déplacer dans une gamme de mobilités variées. On constate une sorte d’usage raisonné de la voiture. Il y a le rapport réversible à la propriété de la voiture. On ne cherche pas forcément à être propriétaire de sa voiture mais à en trouver une quand on en a besoin. C’est notamment le cas dans les grands centres urbains bien équipés en transports en commun. L’habitat et la voiture sont des sujets très intéressants car ce sont à la fois des terrains de choix individuels et collectifs. Ce sont aussi des terrains de très fortes dépendances. Comment fait-on avec ses dépendances si l’on veut changer nos façons de nous comporter ?
Vous proposez aussi une réflexion sur l’habillement…
Oui, sur le changement des rapports entre les hommes et les objets, principalement autour du textile et des objets connectés. C’est le designer de Salomon, Florian Traullé, qui mène cette réflexion. Si je résume très simplement les choses, avant il y avait d’un côté votre corps et de l’autre vos objets.Vous mettiez votre chemise sur votre corps. C’étaient deux unités différentes qui se superposaient. Aujourd’hui vous avez une chemise qui vous dit si votre coeur bat trop vite, si vous avez de la tension… Il y a une sorte de rapprochement des fonctions du corps, en partie déléguées à l’objet. Ça pose de nombreuses questions. Où s’arrête le confort ? La facilité ? Ou commence l’homme augmenté ? Ces bifurcations peuvent être inquiétantes parfois.
Au-delà des expositions, la biennale sera ponctuée d’événements ?
On a construit un programme d’animations très riche : 150 évènements sur site de la Biennale et sur le territoire. Des spectacles, des concerts, des défilés… Ils réunissent des petites initiatives locales : concert du conservatoire, défilé de mode d’un lycée professionnel et des événements de grande ampleur comme une soirée Jazz à Vienne ou en partenariat avec les festivals Paroles et musique et 7 collines…Tout est gratuit ! Ça permet d’élargir les publics et de transformer le quartier en un lieu vivant et animé du 6 avril au 31 juillet. 28 manifestations dans 28 villes de la région Auvergne-Rhône-Alpes sont prévues pendant toute la durée de la biennale.
Vous proposez des animations à destination du jeune public ?
Oui, on peut bien sûr venir à la Biennale en famille! La cabane du design est un outil gratuit qui permet aux enfants de se former au design grâce à des ateliers conçus pour eux. De plus on a construit un skatepark design pour les ados.
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h. Plein tarif : 12 € ; gratuit pour les – 26 ans, étudiants, pass Senior, demandeurs d’emploi, bénéficiaires du RSA, personnes en situation de handicap…