Chemsex : Un élu lyonnais s’alarme

Yann Botrel ©Olivier Ramonteu

La prise de drogues pendant les rapports sexuels, c’est-à-dire le chemsex, est de plus en plus répandue dans les milieux homosexuels mais pas seulement. Cette pratique peut avoir des conséquences dramatiques puisqu’elle est responsable de plusieurs décès dans le Rhône. Yann Botrel, addictologue et élu à Charly tente de mobiliser les pouvoirs publics sur ces dangers. Entretien. Propos recueillis par Maud Guillot

Pourquoi ce sujet vous mobilise-t-il aujourd’hui ?
Yann Botrel : Je suis addictologue et élu. Ce sujet du chemsex est connu depuis à peu près 15 ans mais je n’étais pas très engagé sur le sujet. J’ai eu l’occasion de lire le livre bouleversant de l’élu Jean-Luc Romero, dont le mari est mort en 2018 dans un chemsex. Je suis entré en contact avec lui. J’ai eu envie de travailler avec lui. J’ai intégré son association d’élus locaux contre le SIDA. De plus, le chemsex touche essentiellement la communauté gay. Je suis moi-même homosexuel. Si j’avais eu 18 ans aujourd’hui, avec la solitude, le poids du coming-out, est-ce que je n’aurais pas pu décéder dans un chemsex?

Quand on parle de chemsex, on parle de quoi exactement ?
C’est la prise de drogues lors de rapports sexuels. Les “chemsexeurs” cherchent à augmenter le désir, le plaisir, les sensations. Ils espèrent se sentir plus performants sexuellement. Lors des plans chemsex, les consommations de drogues et les rapports sexuels se répètent pendant plusieurs heures voire plusieurs jours.

Cette pratique concerne avant tout les jeunes hommes homosexuels?
Pendant longtemps, ce sont les quadras qui ont été touchés. Mais avec l’appli Grindr et les sites de rencontres géolo- calisés, tout s’est accéléré: ça va des mineurs de 16 ans, jusqu’aux retraités. Quand on s’inscrit, on a des propositions de “plans” en quelques minutes. De plus, les substances sont devenues très accessibles. Elles se commandent extrêmement facilement sur Internet. Pas besoin d’aller sur un point de deal et ce n’est pas cher.

Le chemsex touche-t-il d’autres publics ?
Oui, les les milieux libertins hétérosexuels ou même les étudiants. Dans une étude de 2022, intitulée Sea, Sex and Chems et menée par le Dr Dorian Cessa pour sa thèse en médecine au sein des HCL, 16 % des chemsexeurs étaient des femmes et 6% des hétérosexuels. Ces données recueillies de façon anonymes auprès de 3000 chemsexeurs sont intéressantes.

Quelles sont les drogues utilisées ?
Des mélanges de substances stimulantes et euphorisantes. Il y a presque toujours de la 3-MMC fabriquée dans des labos en Chine, au Pays-Bas, en Pologne… C’est une love drogue : avec ça, vous aimez tout le monde, vous êtes désinhibé et vos sens sont démultipliés. Elle permet de faire l’amour des heures sans ressentir la fatigue. C’est entre l’ecstasy qui est très empathogène et la cocaïne qui booste. Elle coûte 30 euros le gramme contre 60 pour la cocaïne. Elle se sniffe, se prend en “parachute”, c’est-à-dire en espèces de petites boules ingurgitées, ou en injection.

Avec quoi cette 3-MMC est-elle mélangée?
Elle est souvent prise avec du GHB, qui peut entraîner des comas si elle est sur-dosée et associée avec de l’alcool. Ces consommations de drogues s’accompagnent souvent de prises de médicaments qui favorisent l’érection, d’alcool et de poppers.

Quels sont les effets que vous rapportent les utilisateurs ?
Comme dans toutes les drogues, il y a surtout un effet waouh la première fois. Quand un chemsexeur décrit les sensations, ça donne envie d’essayer! Mais il y a évidemment un phé- nomène d’addiction, avec des descentes épouvantables qui peuvent mener à des suicides. J’ai rencontré des victimes dans des états de délabrement physique important. Ils ne pensent plus qu’à ça.

L’usage ne peut pas être simplement récréatif?
Certains se présentent comme des chemsexeurs heureux. Mais en général, je leur donne rendez-vous dans six mois car ils doivent prendre de plus en plus de drogues pour obtenir les mêmes effets. On ne maitrise jamais sa consommation, ce n’est qu’une question de temps. Les risques sont sous estimés: J’ai récemment rencontré une femme libertine qui ne savait pas qu’il ne faut pas mélanger du GHB à l’alcool.

Quels sont les autres effets?
Il existe des risques élevés d’attraper des infections sexuellement transmissibles. Et évidemment, ça perturbe la sexualité dite conventionnelle. Il faut ensuite toute une rééducation car tout leur semble fade. Il existe des risques de rupture sentimentale, de perdre ses amis ou son travail et de se retrouver isolés et en situation de grand mal-être. Enfin, il ne faut pas négliger la violence. Avec le GHB, qui est “la drogue du violeur”, se pose la question du consentement : je reçois dans mon cabinet des gens qui ont eu le sentiment d’avoir été violés.

Avez-vous des éléments chiffrés sur cette pratique et sur les victimes?
Pas vraiment, car l’Etat ne mène pas d’études épidémiologiques. Ce qu’on sait, c’est que sur Lyon en 2017, l’Agence Régionale de Santé a authentifié 9 cas. Il y avait au moins 20 morts suspectes. Depuis, il y a eu le confinement, donc un développement des addictions. Mais on ne sait pas ce que ça peut donner au niveau national. Il y a encore eu deux morts récemment à Bordeaux.

Que préconisez-vous ?
Il faut lancer une grande étude pour avoir une cartographie précise, puis proposer une politique de prévention adap- tée comme le demande le rapport du Professeur Amine Benyamina remis en 2022. L’objectif est simple : briser les tabous et barrières politiques, alerter et guérir les victimes Mais on préfère encore rester dans le déni. J’ai écrit à tous les ministres de la Santé depuis des années sans succès.

Qu’avez-vous obtenu comme réponse ?
La seule réponse que j’ai reçue est celle de François Braun. Il disait qu’on ne pouvait rien faire car il s’agissait de contexte privé. Les bras m’en sont tombés. Car dans ce cas-là, il faut arrêter la prévention sur les accidents domestiques et même les violences conjugales. Je n’ai toujours pas de réponse des courriers envoyés à Gabriel Attal et Frédéric Valletoux, l’actuel ministre de la Santé.

Les victimes étant majoritairement gays, pensez-vous que cette inertie relève de l’homophobie?
Non. Je pense que le phénomène est juste sous-estimé et que tant qu’il n’existe pas dans les statistiques, il ne nécessite pas de prise en charge, donc d’actions, de budgets… On n’écoute pas les professionnels de santé. On compte environ 500 overdoses par an en France, combien d’entre elles sont liées au chemsex? Ce n’est pas une pratique de personne dépravée. Il faut changer de regard sur l’addiction: c’est une vraie maladie neurologique qui entraîne des souffrances terribles.

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