Denis Payre candidat à la Primaire de droite

Alors que le président de la Région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a renoncé à se présenter pour ne pas ajouter de la “division à la division” et que le Savoyard Michel Barnier vient de confirmer sa candidature, le Lyonnais Denis Payre a annoncé qu’il serait candidat à la Primaire des Républicains. Mag2 Lyon  avait longuement interviewé cet entrepreneur il y a quelques mois à l’occasion de la sortie de son livre Le Contrat Mondial, un essai économique qui vise à réconcilier la mondialisation avec le progrès social et environnemental. Désormais à la tête de Nature and People First*, ce Lyonnais de 58 ans se présente pourtant comme un libéral conscient que le libre-échange sans contrôle entraîne des inégalités insoutenables. Par Maud Guillot.

Ce livre est-il une profession de foi pour votre candidature à la prochaine présidentielle?
Denis Payre : Pas du tout ! Je souhaite surtout faire émerger ce débat dans la présidentielle. Je veux faire ‘changer la conversation’ comme je l’ai fait avec Nous Citoyens avant 2017. Mon objectif est qu’on réfléchisse vraiment aux impacts de la mondialisation, sans tabou ni caricature. Je ne plaide ni pour un repli sur soi nationaliste, ni pour une mise à mort du capitalisme. Or ce débat est malheureusement monopolisé par les extrêmes, de droite et de gauche.

Le libéral que vous êtes tient donc clairement un discours critique sur la mondialisation…
Bien entendu. Les libéraux ne peuvent plus continuer à dire qu’il n’y a pas de problème avec la mondialisation. Certes, ce phénomène a fait sortir des millions de gens de la pauvreté mais ils sont aujourd’hui souvent maintenus dans un semi-esclavage qui n’est pas glorieux. Dans les pays développés qui se sont enrichis, on assiste à une crise des classes populaires et moyennes. Ce qui entraîne des mouvements tels que les Gilets jaunes mais aussi une montée du populisme concrétisée par l’élection de Donald Trump, sa quasi- réélection fin 2020, la prise du Capitole ou encore le Brexit en Europe. Le ressentiment a des conséquences dans les urnes et met à mal notre cohésion nationale.

Comment avez-vous cheminé personnellement vers cette analyse alors que vous avez créé plusieurs entreprises, notamment aux États-Unis ?
Je ne me découvre pas une conscience sociale et environnementale ! Ça fait longtemps que je prends en compte ces thématiques dans mon approche entrepreneuriale. Mais mon expérience dans la transition énergétique avec Nature and People First, qui pro- pose une solution de stockage d’énergie, m’a confronté à la concurrence sauvage des batteries chinoises. J’ai l’habitude de développer des niches sur un marché mondial. Mais là, ce que j’ai constaté est inquiétant. Et c’est en tant que citoyen que je parle aujourd’hui, je n’ai heureusement pas besoin de changer les règles du commerce international pour réussir avec ce projet !

Qu’est ce qui vous inquiète autant ?
La révolution industrielle que constitue la transition énergétique pourrait être un formidable levier de croissance et un gisement d’emplois. Pour l’instant, elle ne profite qu’à la Chine ou à quelques exceptions comme Elon Musk. 70 % des panneaux photovoltaïques et des batteries sont produits en Chine. Les nouveaux métiers sont tous dans les pays émergents. Ce qui est conforme à un plan prédéterminé en Occident : délocaliser les industries manufacturières car considérées comme non-stratégiques, en s’appuyant sur des partenaires économiques qui seraient forcément des “amis”. Or c’est une vision bisounours de la géopolitique.

La Chine est clairement dans votre viseur ?
Non, mais cet acteur joue sa propre partie. Ce pays autoritaire permet une relative liberté économique mais sans normes sociales et environnementales. Comme nous, en 1830, au début de notre développement industriel quand on envoyait l’armée tirer sur les ou-vriers. À Lyon, on se souvient des canuts. Je ne donne donc pas de leçons! Mais il faut avoir conscience de cet état de fait. Les Chinois attirent les investisseurs, imposent des transferts de technologies, laissent se développer les copies contre le droit international des brevets. C’est devenu un géant industriel majeur. Et redoutable.

Vous lui reprochez un triple dumping…
Oui, un dumping classique à travers des subventions massives pour ses industries stratégiques. Il y a aussi un dumping social et environnemental évident. La Chine mène une nouvelle guerre froide. Mais je ne suis pas un ennemi de la Chine! C’est un pays que je connais bien. Ce peuple a fait preuve d’une grande résilience face au communisme qui a fait 36 millions de morts. Mais il ne respecte pas ses engagements vis-à-vis de l’OMC et tire parti de notre naïveté, ou de notre avidité.

Mais la prime aux pollueurs et aux exploiteurs que vous expliquez dans votre livre. Ce n’est pas une réalité très nouvelle, malheureusement…
En fait si! Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Américains étaient en position de leadership. La mondialisation a bien marché car les pays développés échangeaient entre eux. Les pays émergents fournissaient uniquement de la matière première. C’est à partir des années 60 et 70, avec les accords multifibres dans le textile qu’on a ouvert la porte. Et c’est avec le NAFTA signé entre les États-Unis de Clinton et le Mexique qu’on a accepté le commerce sans aucune contrainte, sans quota. Cela a été un basculement total. Et il date de seulement 25 ans. À partir de ce moment-là, les grandes entreprises ont cherché à améliorer leurs marges en délocalisant leurs productions pour bénéficier de la main-d’œuvre moins chère de ces pays.

Les pays occidentaux ont donc une part de responsabilité !
Bien sûr. Mike Pompeo, secrétaire d’État de Trump a dit qu’on avait donné naissance à un Frankenstein au sujet de la Chine! L’exemple le plus frappant, ce sont les panneaux photovoltaïques. La filière s’est délitée en Europe pour devenir un mo- nopole chinois. L’Europe a réagi beaucoup trop tardivement. Les rares fabricants européens qui restent se bat aujourd’hui contre des entreprises qui emploient de la main-d’œuvre forcée ouïgoure ! C’est immoral en plus d’être déloyal. Au final, l’Occident est sur une trajectoire de collision avec la Chine. Certains Américains parlent même d’un conflit inévitable voire souhaitable… Moi, je plaide au contraire pour une sortie de crise apaisée.

Mais après ce constat alarmiste, quelles sont les solutions concrètes que vous proposez ?
Il faut commencer par changer de discours vis-à-vis des pays émergents. L’échec des tentatives précédentes pour faire entrer les normes sociales et environnementales dans les règles du commerce international doit nous servir de leçon. Les pays en développement voient le faible coût de la main-d’œuvre comme leur seul avantage concurrentiel. Nous ne pouvons plus cautionner cela. Il faut leur proposer un Contrat Mondial avec une aide sans précédent pour lutter contre la pauvreté et le réchauffement climatique, aide conditionnée par une convergence graduelle vers nos normes et droits.

Comment comptez-vous mettre en place ce Contrat Mondial ?
Les mécanismes seront différents en fonction des catégories de produits. Il faut d’abord identifier les indus- tries dites stratégiques. Au passage, je n’exclus pas de cesser complètement le commerce dans certains secteurs ultrasensibles comme les télécom-munications, à l’image de ce qu’ont fait les États-Unis avec Huawei. Les modules de télécommunication embarqués dans les voitures ou pour la télémédecine par exemple entrent dans cette catégorie. On ne peut pas dépendre de pays étrangers, sinon on s’expose à une prise de contrôle hostile, sans armes.

Quels sont les secteurs que vous définissez comme stratégiques?
La chimie, les infrastructures de distribution, les barrages, les bases industrielles de défense, les services d’urgence, l’énergie, les services financiers, l’alimentation et l’agriculture, le nucléaire, le traitement des déchets et de l’eau, les systèmes de transport… Ils impliquent eux aussi des enjeux majeurs de souveraineté.

Que proposez-vous pour ces secteurs ?
Pour récréer une concurrence saine, il faut instaurer une compensation des écarts de normes sociales. Certains l’appelleront peut-être ‘taxe sociale aux frontières’. Je propose en effet d’appliquer les mesures correctrices propres au dumping classique. Plusieurs calculs sont possibles, tenant compte du nombre d’heures de travail nécessaires pour fabriquer un produit et du salaire moyen ou même de la part des dépenses sociales dans le PIB du pays exportateur. Il s’agit de calculer le coût de fabrication d’un produit importé comme s’il avait été fabriqué en Europe. L’écart est alors prélevé sous forme de taxe.

En fait, vous voulez taxer les produits importés…
Pas seulement, puisque les sommes seront ensuite redistribuées aux pays émergents pour les pousser à faire décoller leurs standards sociaux mais aussi aux pays développés en investissement dans des zones délaissées ou en reconversion pour aider les perdants de la mondialisation… Il faut rééquilibrer la concurrence et soutenir les pays qui jouent le jeu.

Mais il faudrait que l’ensemble des pays du monde acceptent ces nouvelles règles!
J’ai bien conscience que je propose une solution qui n’est pas simple. Elle ne peut pas être franco-française mais a minima européenne et probablement américaine. Le résultat serait vertueux puisqu’en aidant ces pays pauvres, on créerait aussi des marchés énormes pour nos entreprises.

Mais les Allemands n’ont pas du tout votre approche vis-à-vis de la Chine avec qui ils commercent beaucoup…
Ils sont en train de changer d’avis. Les Chinois ont racheté Kuka AG, leader allemand de la robotique. Les ingénieurs allemands du programme véhicules électriques de BMW sont partis créer leur propre société en Chine en 2017… Les Allemands comprennent qu’ils ne sont plus protégés sur des secteurs à forte valeur ajoutée où ils étaient leaders.

Mais quel serait réellement l’intérêt de la Chine ?
La Chine a intérêt sur le long terme à avoir des partenaires satisfaits, qui ne claquent pas la porte.

Et vous comptez rapatrier la fabrication de masques qui se sont révélés ultra-stratégiques !
Pourquoi pas. Ce produit est à faible valeur ajoutée mais on peut réfléchir à développer des usines dont les emplois seront distribués en priorité à des personnels handicapés, souvent au chômage, qui vivent d’indemnités et qui sont frustrés de ne pas travailler.

Pourtant, les économistes répètent qu’il est impossible de relocaliser des activités à faible valeur ajoutée…
Ce discours dominant est navrant. Et désespérant pour les classes populaires qu’on accepte de sacrifier! Il faut juste restaurer une compétition loyale. Tout en arrêtant de rêver: on ne peut pas avoir des emplois manufacturiers en France, bien payés, et des produits pas chers !

Justement, que proposez-vous pour les produits non stratégiques ?
Pour le textile, l’ameublement, les jouets, les produits de consommation courante…, il ne me semble pas raisonnable de vouloir faire revenir ces industries. Cela déstabiliserait trop violemment les pays en développement tout en renchérissant le coût de ces produits pour les classes populaires qu’on cherche justement à protéger. Mais le statu quo n’est pas envisageable pour autant. Il faudrait donc appliquer une compensation sociale faible, de l’ordre de 8 %, qui permette en quelques décennies une harmonisation des normes. Il faudrait au moins que les pays respectent les piliers de l’Organisation Internationale du travail : pas de discrimination à l’em- bauche, pas de travail des enfants ou de travail forcé, des syndicats libres…

Vous ne croyez pas que votre projet, mondial, est un peu utopique ?
Si, mais je pense que la crise profonde que traverse l’Occident, aggravée par la Covid-19, va obliger à mener des réflexions de fond. La crise sanitaire a montré notre dépendance vis-à-vis de la Chine et la nécessité de relocaliser des industries clefs. Ce contexte permettra de surmonter les conservatismes. L’arrivée des voitures chinoises 30 à 40 % moins chers va créer un choc comparable au choc japonais des années 80. La filière automobile française et européenne est potentiellement menacée de déroute selon un rapport de France Stratégie. Leurs pneus ont déjà entraîné la fermeture de l’usine Bridgestone de Béthune en 2020… Ce Contrat Mondial est pour moi la seule option.

Mais certains États autocratiques n’ont aucune envie de développer le niveau de leur population en matière d’éducation…
Mais ils devront accepter ces règles pour commercer avec nous. Il faudra être capables d’aller au bras de fer avec eux. Il faut juste que nos dirigeants politiques tiennent un discours clair.

En France, des hommes politiques comme Laurent Wauquiez et Arnaud Montebourg s’emparent justement de ces sujets…
Oui. J’ai discuté avec Arnaud Montebourg. Je le respecte car il a eu le mérite de se frotter personnellement au monde de l’entreprise. C’est rare. Mais il reste très étatiste. Il plaide pour des subventions publiques de la part d’un État qui choisirait ses champions. Moi, je défends des mécanismes de marché. Nokia et Ericsson doivent pouvoir se battre dans une vaste zone de libre-échange située dans les démocraties libérales qui représentent 54 % du PIB mondial en étant protégés de la concurrence déloyale de Huawei. Alstom et Siemens doivent se concurrencer sur le train à grande vitesse en étant protégés de CRRC, entreprise chinoise largement soutenue par l’État.

Pourquoi ne pas sensibiliser les consommateurs qui peuvent faire bouger les choses car acheter c’est voter !
C’est nécessaire mais pas suffisant. On ne peut pas toujours appeler à la responsabilité des consommateurs. Les gens ont un budget, parfois contraint. Spécifiquement en France où le pouvoir d’achat est limité notamment à cause de l’État. C’est l’autre grand message de mon livre…

Quel est le problème spécifique avec l’État français ?
On subit la double peine. On est face à la sous-administration du commerce mondial associé à la sur-administration de l’État français, une bureaucratie qui coûte trop cher, qui est inefficace et qui pèse sur la création de richesse. Dans les hôpitaux, les administratifs, c’est 36 % de la dépense contre 25 % chez nos voisins ! Selon Jacques de Larosière, on était le 5e pays pour la création de richesse par habitant en 1975: on est 26e aujourd’hui! On a vécu pendant des années dans une sorte de néo- collectivisme avec un discours très anti chefs d’entreprise, dont j’ai personnellement fait les frais.

Mais vous avez surtout fait partie des exilés fiscaux en Belgique !
C’est faux. On m’a chassé de France ! Avec mon associé on venait de prouver que la France pouvait jouer dans la cour des grands en matière de digital, on venait de créer un leader mondial du logiciel, Business Objects. On venait d’être nommés best-entrepreneurs dans Business Week aux côtés de Steve Jobs et Steven Spielberg en 1996. J’ai décidé de me retirer pour des raisons personnelles. Je me suis alors retrouvé face à un ISF déplafonné en France. Si je suis parti, c’est sous la contrainte.

Vous avouez dans votre livre avoir été menacé de faillite personnelle : ce n’est pas un peu exagéré ?
Non, j’étais ruiné pour avoir donné à mon pays son premier leader mondial dans les technologies de l’information ! Mon patrimoine était à 90 % virtuel. Il ne me rapportait rien. était très difficilement vendable et fluctuait en permanence au gré des spéculations boursières. L’impôt pouvait représenter des dizaines de fois mes liquidités en une année ! Et on m’a présenté comme un mauvais Français, un salaud de riche, riche que je n’étais que sur le papier! En fait, on a vécu 40 ans d’obscurantisme économique.

En est-on sorti selon vous ?
En partie. C’était l’ambition d’Emmanuel Macron. La crise du Covid-19 pourrait aussi être salvatrice. Car elle a permis de faire un véritable benchmarking des politiques publiques. On s’est rendu compte, que malgré les budgets engagés, on n’avait pas le meilleur système de santé du monde. On a été en retard sur la vaccination même par rapport au Maroc ! En matière d’éducation, ça fait un moment que le classement PISA nous alerte sans nous faire réagir…

Mais on est quand même dans un pays où les aides sociales permettent d’éviter la grande précarité !
Non, on est un pays très antisocial avec beaucoup de pauvreté et un système éducatif qui renforce les inégalités. C’est inacceptable. On pourrait faire beaucoup plus avec beaucoup moins. D’ailleurs, pour convaincre nos partenaires européens de ces nouvelles règles internationales que je propose, il faudra balayer devant notre porte. Il faudra régler nos problèmes de compétitivité y compris par rapport aux pays qui nous ressemblent. C’est un défi mais c’est possible.

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