Les polices scientifiques et techniques du monde entier ne jurent que par lui : le Bluestar permet de détecter la moindre gouttelette de sang sur une scène de crime, puis d’en extirper l’ADN pour confondre le meurtrier. Une révolution qu’on doit à un chercheur lyonnais, Loïc Blum ! Récit. Par Maud Guillot.
Les amateurs de polars et de séries policières télévisées l’ont déjà vu à l’œuvre. La “scientifique” débarque dans un appartement banal, balance le réactif Bluestar et en quelques minutes, la pièce plongée dans le noir s’illumine. Les traces de sang sont spectaculairement révélées par une couleur bleutée. Malgré les efforts de camouflage, il y a bien eu un meurtre ! Le tisonnier de la cheminée est l’arme du crime… Le coupable, insoupçonnable, est bien sûr arrêté. L’affaire est pliée en un épisode.
Dans la réalité, il faut plusieurs semaines ou mois d’enquête pour parvenir à une interpellation mais le Bluestar est bel et bien une arme redoutable au service des polices et des magistrats du monde entier. Or ce produit “miracle” a été mis au point à Lyon.
“Je n’ai fait qu’améliorer une formule existante” explique, modeste, Loïc Blum. Ce chercheur de Lyon 1 est en effet parti d’un réactif de chimie luminescence dont les premières traces remontent à 1928. Appelé Luminol en 1934, il provoque un dégagement de lumière, sans production de chaleur, grâce à un catalyseur et il a été utilisé pour la première fois en police scientifique en 1937. L’objectif étant évidemment de détecter des traces invisibles ! Car si le sang se dégrade dans le temps, sous l’effet d’un nettoyage ou encore si les traces sont minuscules, il reste présent : la structure héminique, contenue dans l’hémoglobine, qui donne la couleur rouge au sang reste stable et peut donc être retrouvée, justement grâce à ce mélange de réactifs. “Il ne faut pas le dire aux criminels, mais quand on essaie de nettoyer, en réalité, on étale… Ce n’est pas parce qu’on ne voit plus qu’il n’y a plus rien” renchérit le responsable de l’Institut de Chimie et de biochimie moléculaires.
Problème, ce luminol provoquait une réaction faible, extrêmement courte et uniquement dans le noir total. Difficile pour le technicien de bien repérer le sang pour le prélèvement. De plus, le produit utilisé détruisait l’ADN. C’est là que Loïc Blum est entré en scène.
En 2000, il est contacté par Jean-Marc Lefebvre-Despeaux, patron d’une entreprise monégasque. Cet entrepreneur n’a rien à voir avec la police : c’est un passionné de chasse. Il cherche un produit plus efficace pour pister les bêtes blessées… Mais entre temps, il s’est rapproché d’un membre de l’IRCGN, l’Institut de Recherche Criminelle de la gendarmerie qui partage logiquement son intérêt pour le luminol.
“En tant que biochimiste, je m’intéresse aux enzymes qui sont des catalyseurs biologiques. Je travaille sur la chimie luminescence. J’ai trouvé ce défi intéressant. J’ai immédiatement précisé que je me fichais de son application dans la chasse et que seule la police scientifique m’intéressait…” raconte Loïc Blum. Il se met au boulot avec quelques collaborateurs au sein de son laboratoire et parvient à optimiser le type d’oxydant et d’agent alcalin : “Je n’ai fait aucun essai sur des scènes de crime car je n’étais pas habilité. J’ai travaillé sur du sang animal, de mammifères : du cheval, des moutons…” raconte Loïc Blum qui précise en plaisantant : “Je n’ai pas non plus saigné des étudiants !”
Il doit alors passer l’épreuve du terrain. Et très vite, il se rend compte qu’il a mis au point le produit idéal : le Bluestar donne une intensité lumineuse importante et plus longue, jusqu’à plusieurs minutes. Le technicien peut prendre son temps, pour prendre des photos, désormais numériques, dans une semi-obscurité. Un confort notable. Plus révolutionnaire encore : l’ADN n’est pas détruite !
Une affaire va justement lui faire une publicité considérable en 2003, c’est l’affaire Flactif au Grand Bornand en Haute-Savoie. Toute la famille d’un prometteur immobilier disparait du jour au lendemain. On pense à une fuite à l’étranger, mais le Bluestar, répandu par dizaines de litres, va permettre de détecter des traces de sang, d’en déterminer l’ADN, puis de le comparer à celui des voisins donc de résoudre ce quintuple meurtre.
Aujourd’hui, pas un crime de sang n’échappe au Bluestar, par exemple quand on soupçonne que le corps a disparu ou a été déplacé. Loïc Blum est fier d’avoir participé à la résolution d’affaires anciennes. Les plus vieux échantillons traités avaient même 130 ans ! Un policier passionné d’histoire a utilisé le Bluestar dans une grange aux Etats-Unis : il a ainsi dévoilé le sang de deux soldats confédérés tués lors de la mythique bataille de Gettysburg qui s’est déroulée en juillet 1863…
Loïc Blum égrène les affaires résolues de façon improbable, rapportées par des policiers. Du sang a été retrouvé sur le passage de roue et le chambranle d’une voiture qui avait pourtant été lavée et laissée aux intempéries pendant 70 jours… Un homme qui pensait avoir réalisé le meurtre parfait en nettoyant, en ponçant et en vernissant du bois, a été confondu par quelques traces de sang qui s’étaient logées entre les plinthes et le carrelage… Aux Etats-Unis, de nombreuses expériences ont montré que le Bluestar était plus efficace que les autres produits : du sang sur du tissu rouge et lavé deux fois en machine a été analysé avec succès.
Désormais, le Bluestar est vendu dans 95 pays dans le monde, aux Etats-Unis, comme en Russie ou en Chine. Un produit qui a fait la fortune de l’entreprise Bluestar Forensic à Monaco. Mais pas celle de Loïc Blum. “Je ne touche pas un centime” précise le chercheur qui est officiellement co-inventeur de la formule mais pas co-propriétaire : “En toute honnêteté, au vu de l’ancienneté du luminol, je ne pensais pas qu’on pouvait le breveter.” Il semble le prendre avec philosophie : “Cela m’apporte une certaine reconnaissance scientifique et je suis en bons termes avec Jean-Marc Lefebvre-Despeaux !” Désormais vice-président délégué Partenariat et Innovation à l’université Lyon 1, Loïc Blum fait tout de même très attention à défendre l’intérêt des chercheurs mais aussi de l’université et encadre les conditions de transfert de technologie.
Il a aussi été invité à visiter le laboratoire de police scientifique d’Ecully où il est surnommé M. Bluestar. Et sa collaboration avec la police s’est poursuivie avec des recherches sur le sperme. Son équipe a justement mis au point un nouveau produit qui permet la détection par fluorescence sur des scellés. Il conclut, rieur, au sujet de son “invention’: “Je répète souvent à mes étudiants : Si vous comptez assassiner votre femme, mieux vaut éviter les crimes de sang. On arrivera toujours à en trouver…” Surtout avec le Bluestar.