Lyon doit beaucoup à cet élu discret qui a été en charge de l’urbanisme au cours des deux premiers mandats de Gérard Collomb, avec l’aménagement de la Confluence et des Berges du Rhône. Cet élu écologiste “détonnait” aussi bien dans son camp que dans la classe politique. Par Lionel Favrot
Premier tour de l’élection présidentielle de 1988: Pierre Juquin, le candidat communiste rénovateur, est devancé par l’écologiste Antoine Waechter avec 2,10 % des suffrages contre 3,78 %. Un détail pour beaucoup mais à cette époque, c’est le signe pour Gilles Buna que l’avenir de la gauche non PS se situe du côté de l’écologie.
Né en 1951, ce professeur de collège en section d’éducation spécialisée a déjà une longue carrière de militant. Son premier engagement de jeunesse: la décolonisation au sein du mouvement “Information pour les droits du soldat”. Ce mouvement proche des trotskistes de l’Alliance marxiste révolutionnaire, va se mobiliser dans les années 70 pour créer des Comités de soldats, une forme de syndicat, se heurtant à une forte hostilité de l’Armée. Gilles Buna s’engage également au PSU. Ce qui est assez cohérent avec son opposition à la guerre du Vietnam puisque ce parti a été créé par des militants opposés à la Guerre d’Algérie. Le PSU se distingue aussi bien des socialistes de la SFIO que du PCF qui soutient les dictatures communistes. Ce petit parti apprécié des intellectuels passe pour être “le laboratoire d’idées de la gauche”.
Habitant boulevard de la Croix-Rousse, côté 1er arrondissement, Gilles Buna a aussi milité au sein de différentes associations des Pentes. Ses combats : la lutte contre l’habitat insalubre, avec ces enfants atteints de saturnisme à cause des vieilles peintures au plomb, et le fléau des marchands de sommeil.
C’est donc avec cet enracinement à gauche et cette solide formation politique que Gilles Buna débarque chez les Verts. Même si la liste d’Antoine Waechter dépasse les 10 % des voix aux élections européennes de 1989, sa ligne ni droite ni gauche ne lui convient pas vraiment. Cet élu alsacien qui s’est fait connaître par la défense des castors, relève à ses yeux de cette sensibilité “environnementaliste” peu sensible aux problématiques sociétales. Il regarde au contraire avec intérêt l’évolution des Grünen, les Verts alle- mands, passés du militantisme ultra-radical dans les années 1970 à une collaboration avec les sociaux-démocrates qui leur a permis d’accéder au pouvoir dans certains länders (régions) dès 1985. Gilles Buna partage cependant avec les Verts “historiques” la volonté de garder un parti autonome plutôt que de se dissoudre dans un grand parti de gauche. Quand au début des années 1990, Brice Lalonde lance Génération Ecologie, à la demande -et avec l’aide- de François Mitterrand, alors président de la République, Gilles Buna reste fidèle à la bannière des Verts malgré des campagnes de presse les assimilant à des “pétainistes”, des verts-bruns. Tandis que la droite accuse ces mêmes écologistes d’être des verts-rouges ce qui était pour le coup l’ambition de certains proches de Pierre Juquin… Face à cette confusion, Gilles Buna conserve ses valeurs.
INSPIRATION
C’est assez naturellement que Gilles Buna monte une liste commune avec Gérard Collomb aux élections municipales de 1995 à Lyon. Cette alliance nait autant d’un accord poli- tique que d’un feeling personnel. Leur liste rafle trois arrondissements à la droite. Le 1er dont Gilles Buna devient maire mais aussi le 8e, qui revient au socialiste Jean-Louis Touraine, alors que Gérard Collomb prépare sa conquête de l’Hôtel de Ville depuis le 9e. Cette élection fait de Gilles Buna l’un des principaux élus écologistes de France à une époque où ils se comptent sur les doigts de la main. Même si un maire d’arrondissement a des pouvoirs très limités. Son élection au Conseil général du Rhône confirme son implantation croix-roussienne. En revanche, il échoue à se faire élire député.
Fidèle à ses engagements contre le racisme et l’antisémitisme, il transforme la commémoration de la rafle Sainte- Catherine en une véritable cérémonie républicaine officielle pour rappeler les ravages de l’antisémitisme dès son élec- tion à la mairie du 1er arrondissement. Il s’engage aussi en faveur de la première Gay Pride lyonnaise lancée par Pierre Gandonnière, lui-même militant écologiste, pour lutter contre l’homophobie face à une municipalité barriste refusant la délivrance de certificats de concubinage aux couples homosexuels.
Cette alliance Buna-Collomb, passe pour avoir inspiré la stratégie de la Gauche Plurielle qui permettra à Lionel Jospin de gagner les élections législatives de 1997. Elle per- mettra aussi l’élection de Gérard Collomb comme maire de Lyon et président de la Communauté urbaine en 2001. Quand Europe-Ecologie-les-Verts est créée en 2010, Gilles Buna soutient Daniel Cohn-Bendit, l’ancien soixante-hui- tard qui a justement participé à l’arrivée des Grünen au pouvoir en Allemagne. Gilles Buna n’en deviendra pas pour autant une figure nationale, ancrant toute son action à Lyon, loin des appareils.
POSTE SENSIBLE
Il faut dire que Gérard Collomb a confié l’urbanisme à Gilles Buna, à la mairie de Lyon comme à la Métropole. Un poste stratégique, et sensible. Aucun scandale n’éclate à l’époque de Gilles Buna qui va apporter une véritable inflexion écologiste. Il persuade le maire de Lyon que l’éco- logie est une “tendance lourde” à une époque où la droite reste insensible à cette problématique. Gérard Collomb se laisse convaincre et accepte le scénario le plus végétal pour libérer les Berges du Rhône de leurs parkings. Il verra aux élections municipales de 2008 que c’est politiquement porteur. Quand Dominique Perben, candidat de la droite, qualifie ce choix de “connerie”, il se décrédibilise. On doit aussi à Gilles Buna des expérimentations avant-gardistes dans l’éco-quartier de la Confluence, mais aussi la création de corridors verts, c’est-à-dire de liaisons végétales entre les petits et grands espaces verts pour permettre à la faune de circuler en zone urbaine, ou, pour les
mêmes raisons, d’une trame bleue.
De nouveaux parcs sont aménagés, en particulier Sergent Blandan dans le 7e arrondissement. A la différence d’autres écologistes, Gilles Buna n’est pas opposé aux tours dans les quartiers d’affaires. Pour lui, c’est une manière de lutter contre l’étalement urbain et il veut aussi densifier l’habitat autour des gares. Comme la quasi totalité des adjoints à l’urbanisme de Lyon, Gilles Buna va rejoindre la franc-maçonnerie. Un engage- ment rare chez les écologistes.
Malgré ses responsabilités, Gilles Buna reste fidèle à sa manière d’être, jusqu’à son style vestimentaire souvent moqué, associant veste à rayures et gilet -même s’il porte aussi des costards passe-partout-, ses gros cigares ou sa grosse sacoche remplie de dossiers. Gilles Buna ne participera pas au troisième mandat de Gérard Collomb. En décembre 2012, il annonce dans une interview à Mag2Lyon son retrait de la vie politique pour raisons de santé. Précisant que son état ne peut qu’empirer selon les médecins, il choisit le socialiste Michel Le Faou pour lui succéder. Au-delà de ce problème de santé préoccupant, on perçoit chez lui une double lassitude. Il est autant choqué de l’agressivité grandissante de Gérard Collomb vis-à-vis des écologistes que d’un certain sectarisme chez les Verts. Certains lui en veulent encore de ne pas avoir vraiment réagi quand Etienne Tête a été déchu de ses responsabilités en 2009 à la mairie de Lyon par Gérard Collomb, ou quand Béatrice Vessiller a subi le même sort à Villeurbanne l’année d’après, suite également à des critiques jugées trop vives par le maire PS Jean-Paul Bret.
Gilles Buna fréquentera quand même discrètement certaines inaugurations. Par exemple celle de l’Hôtel-Dieu où il va nous confier qu’il trouve cette réhabilitation décevante car trop minérale, tout comme la phase 2 de la Confluence. S’il avait été aux côtés de Gérard Collomb lors de son der- nier mandat, gageons qu’il aurait décrypté pour lui cette montée de la Génération Climat. Même si ce bon vivant était loin du cliché éculé de l’écolo-bobo vegan, ascète, svelte et cycliste, les écologistes actuellement en responsabilité à la mairie de Lyon et à la Métropole de Lyon reconnaissent qu’il leur a “ouvert la voie” .
En début d’article : Photo portrait @Eric Soudan/Alpaca
Ci-dessus : l’interview accordée à Mag2Lyon en décembre 2012 où Gilles Buna a annoncé son retrait de la politique pour raisons de santé