Didier Machou, ancien manipulateur d’électro-radiologie aux HCL et syndicaliste CGT mène la fronde contre le déménagement des activités de l’hôpital Henry Gabrielle, spécialisé dans la médecine de réédaptation, de Saint-Genis-Laval vers un nouveau site, au Vinatier. Il participe au Comité de Défense d’Henry Gabrielle. Entretien. Par Maud Guillot.
Pourquoi ce projet de déménagement vers le Vinatier vous pose-t-il problème ?
Didier Machou : En 2016, les Hospices Civils de Lyon ont annoncé la fermeture de l’hôpital Henry Gabrielle et son transfert vers Desgenettes. Des patients ont immédiatement réagi car ce site ne comportait pas de parc. Or, cet espace, de 10 hectares avec un étang, est essentiel à la récupération et au retour à l’autonomie, ainsi que pour se ressourcer. On parle de personnes en situations de handicap, qui essaient de se reconstruire et qui ont besoin de ce contact avec la nature pour “continuer”. C’est comme ça que le Comité de Défense est né, avec un seul objectif : maintenir ce site à St Genis.
Quel est le profil des patients accueillis à Henry Gabrielle ?
Henry Gabrielle est spécialisé dans la rééducation des affections neurologiques, comme Parkinson, des suivis post-AVC, qui est la premier cause de handicap en France, ainsi que dans la prise en charge des grands accidentés et des traumatismes crâniens : para et tétraplégies. Avec le vieillissement de la population, les affectations neurologiques deviennent majoritaires.
Ce qui explique cette mutualisation possible avec le pôle Est des HCL, spécialisé en neurologie, et un déménagement au plus près…
Oui, mais on accueille aussi de plus en plus des malades de cancers lourds, car l’activité physique participe de la guérison et évite la récidive. Il y a aussi des patients en hématologie. Or, les deux pôles de référence de ces pathologies sont à Lyon Sud, à deux kms… Le plateau technique le plus polyvalent des HCL, c’est Lyon Sud. 70 % des déplacements en ambulance se font d’ailleurs avec cet hôpital car les patients accueillis n’ont pas que des problèmes neurologiques.
Mais les HCL insistent aussi sur l’importance de travailler en équipe avec le pôle Est sur la recherche en neurosciences et sur le cerveau…
C’est vrai. Il existe aussi un laboratoire de recherche à Henry Gabrielle. La mise en application peut parfaitement se faire dans cet établissement. De plus, les équipes sont aujourd’hui internationales avec des recherches sur les data. Un chercheur de New York peut s’intéresser à des patients d’Henry Gabrielle. Si on prend le cas de la cancérologie, la clinique est plutôt à Lyon Sud alors que le centre de recherche est vers l’hôpital Edouard Herriot : cela ne pose pas de problème.
L’établissement est un peu isolé à Saint-Genis Laval…
Avec l’arrivée du métro, cet argument ne tient plus non plus. On compte une quarantaine de logements adaptés et une structure associative à St Genis, donc un tissu local autour du handicap, des commerces… Ce qui est essentiel pour le retour à l’autonomie. Les patients sont finalement moins isolés à St Genis qu’au Vinatier.
Mais les HCL évoquent aussi une problématique financière…
Oui, l’Agence Régionale de Santé ne suit les projets que s’il y a des économies à la clef. La vente d’Henry Gabrielle est évaluée à 17 millions d’euros. Mais les HCL ont, depuis, retrouvé un excédent budgétaire. Cette explication est donc caduc. En 2021, la réhabilitation du site actuel était envisagée et chiffrée à moins de 70 millions d’euros. Contre 75 millions pour le nouveau bâtiment du Vinatier, sachant qu’il faudra payer la location du terrain environ 1 million d’euros par an… De plus, on ne peut pas compromettre une activité comme celle d’Henry Gabrielle pour des raisons purement financières.
En revanche, au Vinatier, il y a bien un parc, contrairement à Desgenettes où le projet a été abandonné…
Certes, le Vinatier dispose d’un parc, mais il n’est pas aussi boisé que celui de St Genis. Par ailleurs, le bâtiment envisagé est à la limite du groupement Est et du Vinatier donc à l’opposé du parc… Henry Gabrielle serait encastré entre le boulevard Laurent Bonnevay, la prison de Haute Sécurité, une clinique privée et les hôpitaux Est… Cette concentration des hôpitaux n’est pas en faveur du bien-être des patients. Il faut aussi évoquer la cohabitation entre les patients du Vinatier et ceux d’Henry Gabrielle…
En quoi cette cohabitation vous questionne-t-elle ?
C’est effectivement compliqué à expliquer mais c’est un problème pour les patients handicapés et leurs familles. Ils ont peur… On nous a reproché à ce titre de stigmatiser la psychiatrie. Mais ce n’est pas du tout le cas. Chaque pathologie a besoin d’un espace à lui. L’inclusion, ce n’est pas mettre deux grandes fragilités en regard. Il faut aider les patients à surmonter leurs difficultés, pour ensuite affronter le monde normal.
Vous pensez que ce sera plus compliqué au Vinatier ?
Les personnes handicapées en fauteuil se sentent en difficultés face à des patients de psychiatrie. Nous mêmes quand on se retrouve dans le métro à côté d’une personne qui parle seule, qui raconte un peu n’importe quoi, on s’adapte. On regarde nos pieds… On n’a pas peur. Mais une personne en fauteuil, qui vient de subir un traumatisme, peut se sentir en insécurité physique. Sans même parler de violences… Il faut en tenir compte. J’ai eu moi-même du mal à l’intégrer en tant que soignant mais c’est une réalité. Ces patients doivent pouvoir évoluer en sérénité. A l’inverse, des patients de psychiatrie peuvent aussi être choqués par des personnes tétraplégiques…
Que proposent les HCL face à cette problématique ?
Ils ont évoqué l’idée de clôturer. Mais du coup, il n’y aurait plus de parc.
En quoi la réhabilitation du site actuel vous semble-t-elle une meilleure option ?
Le site dispose de plusieurs pavillons. On pourrait donc conserver l’activité d’Henry Gabrielle en élargissant à d’autres. La maire de Saint Genis envisageait par exemple d’accueillir un projet médico-social. On pourrait réhabiliter un bâtiment pour le personnel afin de rendre ce site plus attractif, proposer de la médecine libérale, ou même créer des terrains de handisport. On a bien vu le potentiel avec les JO ! Nous, ce qu’on craint en réalité avec ce transfert annoncé, c’est en fait l’abandon complète de l’activité…
Mais dans le projet, les HCL parlent au contraire d’ouvrir 240 places, donc plus qu’aujourd’hui…
A l’heure actuelle, 100 lits à peine sont ouverts. On est même descendus à 70 lits au cours d’un été. On envoyait d’ailleurs les patients en dehors de la région. Tout simplement parce qu’il n’y a plus assez de soignants. Henry Gabrielle n’est pas le seul établissement concerné. La situation est générale en France. Résultat, les places sont chères à Henry Gabrielle. Plus on ferme des lits, plus les HCL enlèvent des soignants. C’est sans fin. De plus, les salariés d’Henry Gabrielle ne vont pas forcément suivre au Vinatier, accentuant encore la pénurie…
Mais pourquoi les HCL abandonneraient-ils cette activité ?
Ils l’ont déjà fait. Ils ont fermé la gériatrie à l’hôpital Charial en avançant que ce n’était pas du soin. Ils pourraient dire la même chose pour le handicap… Ce n’est pas le cœur de métier des HCL. D’autant qu’ils viennent de nouveau d’annoncer des déficits. Ils pourraient finalement privilégier un projet purement immobilier pour le site de Saint-Genis Laval, qui n’aurait donc plus de vocation médico-sociale. Avec l’arrivée du métro, le terrain prend de la valeur…
Les patients peuvent peut-être aller dans d’autres établissements ?
Il existe peu de structures vraiment adaptées pour recevoir des patients très lourds pendant des mois. Il y a les Iris ou les Massues… Mais eux aussi doivent aussi gérer des listes d’attente.
Que pensent les élus de ce transfert et de la mobilisation ?
Nous avons le soutien de la plupart des élus, de tout bord politique. Un voeu avait même été voté au Conseil Métropolitain de Lyon en 2021 pour ce maintien. Au niveau plus local, les élus se rendent bien compte que 300 emplois sont en jeu. Enfin, le député Gabriel Amard a aussi décidé d’auditionner notre association à l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier. Nous allons donc continuer notre mobilisation, dans l’intérêt commun des patients et de leurs famille.
HUMR au Vinatier
Les HCL n’ont pas souhaité répondre à notre demande d’interview. En revanche, ils avaient révéler les contours de leur projet il y a un an. Dans ce communiqué, les Hospices Civils de Lyon insistaient sur la vocation médico-sociale maintenue à St Genis Laval grâce à un projet de reconversion du site actuel. Perspective garantie par la création d’un comité de pilotage, avec toutes les parties prenantes. “Ce comité s’engage à inscrire la transformation immobilière du site d’Henry Gabrielle dans un projet social et sociétal de quartier et de vie, s’inscrivant notamment dans la tradition inclusive que l’hôpital porte depuis la fin des années 1960, au bénéfice des personnes vivant avec un handicap.”
Grégory Doucet, le maire écologiste de Lyon, également président du Conseil de surveillance des HCL, s’était alors prononcé en faveur de ce projet de relocalisation des activités de médecine physique et de réadaptation vers le Vinatier “dans ce souci de complémentarité et de synergie avec les services du Groupement hospitalier Est”.
Le nouvel établissement dédié à la médecine de réadaptation, Hôpital Universitaire de Médecine de Réadaptation de Lyon (HUMR) était programmé pour 2028, sur une parcelle commune entre le Groupement hospitalier Est des Hospices Civils de Lyon et le centre hospitalier du Vinatier.
“Son implantation au cœur du Pôle neurosciences et de Recherche de Lyon constitue l’assise du projet médical, pour offrir aux patients une médecine physique et de réadaptation experte et innovante. Les interactions entre la recherche et les soins en rééducation neurologique et pédiatrique sont l’un des enjeux majeurs, pour la prise en charge des patients” expliquaient les HCL qui insistaient également sur l’offre hôtelière plus qualitative et “un grand parc aménagé avec des parcours de rééducation extérieurs, mais également des lieux de loisirs, de détente et de convivialité”.