Humusation : Et si on compostait le corps humain?

Le cimetière de Loyasse

Transformer le corps en compost pour éventuellement nourrir des arbres, l’idée peut sembler étonnante mais elle est défendue par les partisans de l’humusation: une nouvelle forme de sépulture plus naturelle. La majorité écologiste lyonnaise ne serait pas contre une expérimentation. Analyse. Par Maud Guillot

“La ville de Lyon est favorable à l’ouverture d’un débat autour de l’humusation, nouveau rite funéraire naturel, légalisé ou expérimenté dans plusieurs Etats”. Laurent Bosetti, adjoint au maire de Lyon, délégué à la Promotion des services publics, au handicap et à la politique funéraire a été un des premiers à prendre position sur ce sujet délicat. Cet Insoumis qui a produit, chose rare, un document d’orientations stratégiques sur sa stratégie funéraire, défend une “transition écologique de la mort”.

Lyon va notamment développer des alternatives à la crémation et à l’inhumation traditionnelle : des “carrés naturels” sans pierre tombale, sans caveau, sans soins au formol sur les corps mais avec des cercueils en bois non traité issu de forêts certifiées… Pas si loin de l’humusation qui reste encore interdite en France mais qui pourrait, selon lui, être expérimentée, tout en étant très encadrée, dans le respect des normes sanitaires. “Ça bouscule des tabous culturels. Mais ça n’est pas une fantaisie écologiste. Des parlementaires de tout bord défendent désormais cette alternative…” ajoute-t-il. Elodie Jacquier-Laforge, députée Modem de l’Isère réclame en effet depuis novembre 2021 l’ouverture d’un débat. Elle a cosigné en janvier 2023 une proposition de loi pour réclamer une expérimentation alors que seules l’inhumation et la crémation sont légales en France. Sans succès à ce jour. “Il ne s’agit pas de manquer de respect au défunt, mais au contraire de suivre sa volonté d’un retour à la terre et de créer des espaces de recueillement plus verts, dédiés là aussi au souvenir”, a précisé Élodie Jacquier-Laforge, interviewée par Mag2 Lyon. Cette élue estime aussi que cette solution permettrait de pallier le manque de places dans les cimetières. En effet, les concessions, notamment à Lyon, sont de plus en plus rares. Plus récemment, le radical Bernard Fialaire, sénateur du Rhône, a posé une question au Gouvernement. Les funérailles qui sont au croisement de convictions intimes, culturelles et religieuses se présentent, au même titre que la fin de vie, comme un sujet transpartisan. À ce titre, l’humusation séduit ou… choque.

Laurent Bosetti, adjoint au maire de Lyon, chargé de la politique funéraire ne serait pas contre une expérimentation

HUMUS FERTILE
De quoi s’agit-il exactement? “C’est un processus vraiment innovant pour réintégrer, naturellement, le corps des humains décédés dans le cycle du vivant !” comme le précise le site dédié humusation.org. Plusieurs associations, dont certaines sont implantées à Lyon, militent pour ce procédé. Il s’agit de placer le corps dans un compost composé de broyats de bois d’élagage, qui transforme, en 12 mois, la dépouille en humus sain et fertile. Pas de cercueil, ni de soins de conservation. L’humus est ensuite dispersé sur un terrain réservé et sécurisé, par exemple au pied d’un arbre où est inscrit le nom du défunt.

“Je suis en lien avec le vivant. Je souhaite préserver les généra- tions futures. J’aimerais que ma mort engendre la vie” explique Lucie Noiret, ambassadrice lyonnaise de la Fondation belge “Métamorphose pour mourir puis donner la vie”. Avec d’autres militants lyonnais, elle tente de faire évoluer le cadre législatif en interpellant les élus.

Mais plusieurs questions se posent. Si les enterrements ont été codifiés au fil des siècles, notamment avec l’obligation des cercueils et un enfouissement réglementaire sous plus de 1 mètre de terre, c’est surtout pour éviter les contagions et les épidémies. Ce risque existe-t-il avec l’humusation ? Pas vraiment, selon le professeur de médecine légale Valérie Hédouin, interrogé par Mag2 Lyon. Ce spécialiste de la décomposition des corps estime que les risques sanitaires seraient limités. D’ailleurs, d’autres pays proposent des rites similaires, en pleine terre, notamment les pays de culture musulmane.

Les possibles étapes de l’humusation

Cette nouvelle voie serait aussi plus écologique que l’inhumation et la crémation. Ce que confirmeraient des études récentes : une crémation émet environ 3 % des émissions de carbone d’un Français chaque année. Une inhumation, en produirait 11 %, notamment à cause du formol injecté dans le corps pour la thanatopraxie. Or, cet embaumement concerne 70 % des défunts en France. Dans la plupart des pays européens, cette pratique est d’ailleurs totalement interdite. La crémation d’un corps formolé rejette aussi des dioxines dans l’air, même si des filtres sont imposés aux crématoriums depuis 2018. Sans parler du mercure autre- fois utilisé dans les implants dentaires qui part en fumée… En revanche, l’humusation, qui semble plus simple, ne serait pas forcément moins chère qu’un enterrement classique. Le business de la mort est aujourd’hui une réalité. Les sociétés de pompes funèbres sont vent debout contre un quelconque changement de législation qui les défavoriserait. Mais l’humusation nécessiterait aussi des nouvelles structures et de nouvelles compétences plus ou moins coûteuses. En effet, dans un premier temps, les corps occuperaient autant de place qu’un corps enterré de façon “classique”. Ensuite, il faudrait inévitablement prévoir des systèmes de sécurité pour les protéger, les déviances macabres de toutes sortes étant possibles. Un nouveau métier devrait être créé, car il faudrait, après quelques semaines, récupérer les prothèses et remuer un peu les restes… Comment susciter ce genre de vocations alors que de nombreux secteurs d’activité, plus attractifs, se plaignent aujourd’hui du manque de main- d’œuvre ?

SUJET SENSIBLE
Autre objection : une représentante des pompes funèbres qui préfère garder l’anonymat du fait de ce sujet “touchy” évoque simplement une perturbation des rites et des blocages psychologiques pour les survivants : “Va-t-on poser mamie toute nue sur de la terre pendant la cérémonie? Il faudrait tout réinventer alors que tout est aujourd’hui extrêmement calculé pour ne pas heurter ceux qui restent…” Enfin, François Michaud-Nérard, membre du Conseil national des opérations funéraires (Cnof) et auteur de plusieurs ouvrages sur le funéraire évoque des techniques nouvelles de sépulture un peu “idéalisées”: “L’humusation serait un retour à notre état de nature dans un geste chargé de symbolisme écologique.” Mais selon lui, le résultat est le même : une dégradation du corps, en un peu moins de temps…

Il insiste sur le fait que les tests réalisés à l’étranger ne se sont pas révélés tous concluants. En Belgique, pays pionnier, une étude de l’Université catholique de Lou- vain a démontré que les dépouilles ne se décomposaient pas dans les délais prescrits et que cette méthode pouvait entraîner une importante pollution des sols en nitrate et ammoniaque. D’où l’interdiction désormais en Belgique. Une étude contestée par les défenseurs de l’humusation qui proposent de nouveaux tests avec d’autres paramètres notamment d’humidité. Aux Etats-Unis, 6 Etats ont validé cette nouvelle sépulture depuis novembre 2020, mais version high tech! Le corps est placé dans un cylindre en acier ventilé par de l’oxygène, dont la température est sur- veillée par des capteurs, ce qui permet d’obtenir le com- post dans un délai record d’un mois. Un procédé intitulé Recompose du nom de l’entreprise qui le commercialise… Du fait de ces résistances, d’autres propositions émergent. Parmi ces alternatives, celle de l’aquamation est de plus en plus souvent citée. L’hydrolyse alcaline (son nom scientifique) consiste à immerger le corps du défunt dans un mélange d’eau chauffée et de produit alcalin. On parle parfois de crémation par l’eau. Ce qui est moins énergivore qu’une crémation. Fidèle à une éthique de dépouillement, le militant des droits de l’homme sud-africain Desmond Tutu a demandé que son corps subisse une aquamation.
Le débat reste donc toujours ouvert pour favoriser des funérailles plus vertueuses et écologiques.

 

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