La politique ce n’est pas de l’arithmétique

Dimanche soir, et même les jours suivants, plusieurs media ont relevé “une victoire écrasante” du RN avec une extrême-droite globalement proche des 40% et par là, soi-disant forcément gagnante pour les prochaines élections législatives.

Or, le RN a été largement en tête de cette élection européenne car il constituait un bloc électoral à lui seul face à des adversaires dispersés. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Pour ces élections européennes, la France a voté en une seule circonscription pour des listes. Si cela avait été un scrutin législatif, il y aurait eu un second tour avec un duel où l’un des deux candidats aurait dû dépasser les 50% pour obtenir une “victoire”.
Le RN a consacré son énergie cette semaine à une “ouverture” vers les LR car les dirigeants de ce parti sont les premiers conscients que, malgré une très forte mobilisation de leurs sympathisants, 60% des Français n’ont pas voté pour l’extrême-droite.

Le RN ne pourra pas transformer si facilement une première place dans un scrutin de liste pour les élections européennes en victoires dans une majorité des 577 circonscriptions lors des prochaines élections législatives.

La deuxième tendance constatée dans les commentaires était une interprétation assez servile de la stratégie macronnienne. Les plus institutionnels ont repris le story-telling officiel d’un Emmanuel Macron prenant tout le monde de vitesse grâce à son parti de gouvernement mieux organisé que ses concurrents. Les plus “malins” croient avoir compris la stratégie cachée du président de la République : permettre au RN de gagner en 2024 pour l’avoir sous surveillance jusqu’à la prochaine présidentielle, à la manière d’un Mitterrand toisant Chirac puis Balladur ou d’un Chirac avec Jospin lors des périodes de cohabitation des années 80 et 90. Certains lui donnent même raison.
C’est oublier tous les malins de l’histoire contemporaine qui ont cru pouvoir mettre des extrémistes sous surveillance. Dans la réalité, ces profils politiques peuvent prendre de fortes libertés avec les pratiques institutionnelles ou au contraire se tenir tranquilles en attendant patiemment la prochaine échéance. Puisque chacun essaye de décrypter les intentions cachées, pourquoi ne pas soupçonner Marine Le Pen de vouloir placer un profil relativement policé au poste de Premier ministre pour être certaine de gagner à la prochaine présidentielle ?

Je passe sur ceux qui nous expliquent que le RN n’est plus l’extrême-droite. Ce parti a entrepris une stratégie de “dédiabolisation”. Si certains veulent jouer le rôle de certificateur de cette stratégie, c’est leur affaire.

Depuis quelques jours, ces mêmes commentateurs politiques se rappellent que la gauche conserve un certain sens politique. De la gauche plurielle à la NUPES, il y a quand même dans cette sensibilité quelques stratèges qui valent bien ceux du RN. Du coup, une nouvelle coalition de gauche revient dans la course.

Le vaudeville côté LR avec un Eric Ciotti exclu, qui disparait du siège de ce parti pour réapparaitre sur un plateau télé tout en étant viré, complique la situation. La déclaration de François-Xavier Bellamy préférant voter RN que LFI entretient la confusion. Au milieu, quelques-uns gardent le cap comme Laurent Wauquiez qui refuse toute alliance avec le RN et descend dans l’arène pour se présenter dans son fief de Haute-Loire. Et ce n’est pas fini.

Ce matin, certains commentateurs ont enfin découvert la lune. Le résultat de ces élections deviendraient assez imprévisible.

On peut réaliser des projections. Celles qui mettent les communes ou les circonscriptions à la couleur de la liste arrivée en tête à ces élections européennes biaisent la perception de la réalité. Il faut globaliser les scores de chaque camp pour s’approcher de ce qu’aurait pu donner un second tour des élections législatives s’il avait eu lieu… dimanche dernier. 

Les sondages sont aussi trompeurs avec une transposition d’intentions de vote nationales en nombre de sièges.

Plusieurs facteurs locaux et nationaux peuvent entrer en ligne de compte, et surtout se contrarier.

Au niveau local, Emmanuel Macron semble avoir oublié qu’avec la fin du cumul des mandats -ce qui partait d’une très bonne intention à l’époque-, les députés-maires ou sénateurs-maires capables de rassembler un électorat hétéroclite sur leur personnalité pour faire barrage aux extrêmes, n’existent plus. Ou presque. Ce phénomène fonctionne encore aux élections municipales. Le président de la République semble aussi avoir oublié le profil hétéroclite de ses députés issus en 2017 d’un casting gauche-droite-société civile assez original. Les plus mauvais ont déjà perdu en 2022. Parmi les députés sortants actuels, certains ont labouré leur circonscription sans fuir le débat, des Gilets Jaunes aux agriculteurs. D’autres sont restés sur le confort d’avoir été élus et réélus grâce à l’étiquette macronnienne.

Bien sûr, la politique est souvent injuste. Même un député macronniste bien implanté peut payer l’extrême condescendance de la re-centralisation macronnienne face à la province. Pardon l’extrême condescendance macronnienne face aux “territoires” tardivement et maladroitement redécouverts par un Emmanuel Macron rêvant “Marseille en Grand” ou par le jeune Gabriel Attal perché sur une botte de paille. Pourtant, en 2017 et parfois de nouveau en 2022, des villes moyennes avaient voté Macron, confirmant que leurs électeurs n’étaient pas a priori fermés par son « en même temps” et qu’ils ont été déçus. 

Au niveau national, la force gagnante des prochaines élections législatives sera celle qui aura su créer un élan, défensif ou conquérant.

Or, chaque bloc a un obstacle qui peut bloquer cet élan.

Le RN, et le FN avant lui, a paru une force électorale impuissante aux derniers élections, avec des scores records mais sans décrocher de région par exemple. L’extrême-droite cumule des poussées électorales et des retombées aussi spectaculaires depuis 1986, faute de briser la digue de l’alliance avec la droite républicaine. Eric Ciotti a ouvert une brèche mais toute la digue n’a pas cédé.

La gauche rassemblée doit gérer la trop grande soif électorale de LFI. Ses adversaires sauront l’utiliser comme repoussoir et il pourrait se retrouver comme le premier parti du bloc politique perdant. Ces derniers jours, il semble davantage mettre en avant des personnalités comme François Ruffin, deuxième personnalité politique préférée par l’électorat de gauche, seulement un point derrière Raphaël Glucksmann, plutôt que le cactus Mélenchon.

Emmanuel Macron joue la carte gaullienne de “la réforme oui, la chienlit non !” Pour reprendre la célèbre phrase du Général de Gaulle suite aux événements étudiants de mai 1968. Sauf que n’est pas de Gaulle qui veut, qu’on est en 2024, et que son parti dit de gouvernement a montré ses faiblesses. De l’impréparation à une crise sanitaire type Covid19 aux difficultés à reprendre la main sur des questions régaliennes comme la sécurité.

Oui, il faut parfois reconnaître qu’on peut abonder aux réflexions de chacun avec différents éléments de compréhension mais avoir la modestie de ne pas livrer une analyse sentencieuse et définitive.

La grande inconnue c’est bien le nombre de triangulaires.
Un chiffre tout simple : pour être au second tour d’une élection législative, il faut recueillir au minimum 12,5% des électeurs inscrits au 1er tour. Soit 25% des votants en cas d’une abstention à 50%. Ce qui veut dire qu’en cas de forte mobilisation électorale, ces triangulaires peuvent se multiplier avec des victoires serrées. Et des surprises.

L’abstention en elle-même va donc jouer un rôle à double-titre. Les électeurs RN sont, dans les sondages, ceux qui affichent désormais le plus fort niveau dans la “fermeté des choix”. Mais la possibilité d’une victoire RN peut aussi mobiliser ses adversaires, gommant les effets d’une abstention différenciée d’un camp à l’autre.

Qui peut mouliner tous ces facteurs ? L’abstention différenciée ou non, l’influence d’une personnalité locale, la présence d’un dissident dans une circonscription en bascule, la mobilisation des anciens gilets jaunes qui n’étaient eux-mêmes pas tous du même bord politique…

Les journalistes régionaux connaissent surtout leur région. Logique. Les journalistes nationaux, pour certains, en sont restés à une province forcément “réactionnaire” car ils travaillent dans des media avant tout parisiens.

Et puis il y aura le troisième tour…avec la possibilité d’une assemblée ingouvernable donnant lieu à une coalition inattendue. La constitution de la Ve République était censée protéger la France de l’instabilité politique que certains pays connaissent, grâce au ronronnement de l’alternance. L’usage immodéré du 49.3 depuis la dernière élection présidentielle démontre bien que ce temps est fini. Emmanuel Macron pourra même réutiliser son droit de dissolution dans un an si cela lui chante.

La politique ce n’est pas de l’arithmétique. Et les électeurs peuvent même apprécier de déjouer les pronostics hâtifs. Ils suivent un narratif puissant autant, voire plus, qu’une liste de promesses électorales.

 

Illustration façade de l’assemblée nationale avec projection du sondage Toluna Harris Interactive avec RTL, M6 et Challenges, « réalisé du 9 au 10 juin 2024 auprès d’un échantillon de 2.744 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus » et composition 2017 et 2022.

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