Alors que certains annoncent la fin du papier et donc du livre, le secteur de l’édition reste très dynamique à Lyon, avec de nombreuses structures indépendantes. Plusieurs maisons d’édition se sont même créées récemment, sur des thèmes différents. Qu’est-ce qui motive ces atypiques amoureux du livre à se lancer dans de tels défis? Découverte. Par Maud Guillot.
LES CROCOS POUR LA JEUNESSE
“J’ai travaillé pendant 15 ans dans un cabinet d’audit, mais la crise du Covid m’a permis de réfléchir à mon avenir professionnel.” A 45 ans, Alexandra Horvath, Hongroise installée à Lyon depuis 20 ans, avait déjà un livre en préparation, écrit avec son conjoint Stéphane Perraud, journaliste lyonnais spécialisé en environnement. Mais cette mère de deux enfants a décidé de franchir le pas et d’abandonner son métier pourtant bien rémunéré pour se consacrer à la maison d’édition qu’ils ont créée ensemble en 2021 : Les Crocos. “On aime beaucoup la littérature jeunesse et on avait envie d’écrire sur Lyon pour expliquer la ville à hauteur d’enfants” explique Stéphane Perraud. C’est l’objectif de Le Voyage à Lyon, une BD pour les enfants de 5 à 10 ans publiée en avril 2021. On y suit les aventures de trois petites cigognes en migration qui s’arrêtent à Lyon suite à une blessure. Elles veulent repartir au plus vite mais une série de rencontres va les faire changer d’avis. Ce livre permet aux enfants de découvrir la ville et neuf quartiers du centre, de manière ludique et décalée. “On a écrit ce livre avec les enfants. On a visité avec eux les lieux dont on parle, pour voir ce qui leur plaisait… Il y a des lieux connus et d’autres moins” raconte Alexandra Horvath. Les deux auteurs ont travaillé avec l’illustrateur le Cil Vert. Ce roman graphique a été bien accueilli par les libraires qui continuent de le mettre en avant. Plusieurs milliers d’exemplaires ont été vendus en deux ans. De quoi encourager Alexandra et Stéphane. Ils ont ensuite publié Mon Doudou de Lyon pour les 3-5 ans et Petit Pigeon à Lyon, un imagier, tous les deux dessinés par le Lyonnais Thomas Bourgeois, issu de l’animation et du jeu vidéo.
Les livres des éditions Les crocos sont diffusés dans une centaine de points de vente dans l’agglomération. Le couple livre en direct sans passer par une société intermédiaire. “On est en circuit court!” résume Stéphane, d’autant que les livres sont imprimés chez Chirat dans la Loire. Ce travail d’implantation prend du temps car il faut convaincre les libraires un par un: “Mais ça crée un lien particulier avec eux” précise le journaliste qui n’a pas fait de campagne de communication spécifique et qui compte justement sur cet appui professionnel. “On souhaite désormais élargir notre zone de diffusion à la région, grâce à nos prochains livres” ajoute-t-il. D’autres livres sur Lyon ne sont pas exclus mais les cigognes pourraient voyager bien au-delà! Même au niveau national. Avec une exigence : “On n’est pas une maison d’édition de territoire mais il faut que le territoire soit présent dans les livres! On tient à conserver cette spécificité. Comme l’aspect pédagogique d’ailleurs…” Des auteurs jeunesse les contactent également pour être édités. Alexandra Horvath et Stéphane Perraud ne vivent pas encore de leur activité littéraire. D’autant que le prix du papier a explosé au cours des deux dernières années, ce qui renchérit les coûts de production. Pour les baisser, il faudrait produire en plus grande quantité, ce qui s’avère être un risque économique pour cette jeune maison d’édition spécialisée dans la jeunesse. L’objectif est de sortir deux livres par an. “C’est un secteur vraiment compliqué et pourtant, j’en ai vu beaucoup au cours de ma carrière dans l’audit!” lance Alexandra Horvath. “On se projette sur 5 ans, on verra d’ici là si notre projet est rentable ou non” conclut Stéphane Perraud.
LE GROS CAILLOU POUR LES POLARS
À l’origine des éditions du Gros Caillou, il y a quatre associés, amoureux des livres, qui rêvent de créer une maison d’édition d’envergure nationale depuis Lyon. Avec comme thématique, le polar et le thriller. Fabrice Faure et Jean-Christophe Laisne sont amis depuis toujours, depuis leur enfance sur les Pentes de la Croix-Rousse. Ils ont bien réussi professionnellement. Fabrice Faure, notamment, a fondé et dirige LIP, un groupe indépendant d’intérim et de recrutement, implanté dans le 7earrondissement. Émilie Beaud et Jodie Gabriele les rejoignent, apportant leur connaissance du graphisme et de la communication. Ils créent les éditions du Gros Caillou en 2021. L’idée est de promouvoir un catalogue restreint mais qui permet une relation étroite entre l’éditeur et les auteurs… Si beaucoup de maisons d’édition locales sont de taille modeste, eux espèrent la développer au niveau national. “Lyon mérite une maison d’édition de cette envergure. C’est un pari un peu fou !” explique Sigolène du Besset qui a rejoint ce projet en mai 2022. Cette jeune femme a fait toute sa carrière dans le développement commercial en grande consommation et en grande distribution, avant de se reconvertir il y a deux ans dans la librairie. “Je souhaitais créer une librairie en région parisienne mais ça ne s’est pas fait…” Arrivée à Lyon pour des raisons personnelles, elle est devenue directrice des éditions du Gros Caillou. Ils lancent un concours d’écriture en 2022 et publient leur premier roman en octobre : Le Dernier Jour du Lyonnais Arthur Rogé, un récit nerveux et haletant, vendu à 1 600 exemplaires. Une performance. Depuis, le rythme est soutenu. Trois autres romans ont été publiés : La Chanson blanche de Grégoire Godinaud en mars 2023, puis Absinthe, l’Affaire Gouffé, un polar historique basé sur un fait divers réel, de Yann Botrel en avril et La fille d’encre et de lumière de Claudie O.Wetterwald en juin, un thriller psychologique… Objectif : six nouveaux romans en 2024, notamment grâce au concours d’écriture 2023 qui s’est clôturé le 15 juillet et qui est parrainé par l’auteur lyonnaise Pétronille Rostagnat (Lire son portrait dans Mag2 Lyon 133). Puis une dizaine par an en rythme de croisière, toujours en favorisant la production d’un “bel objet”.
“On reçoit entre deux et cinq manuscrits par jour !” précise Sigolène du Besset, “Mais on les lit tous !” Claudie O.Wetterwald a par exemple été sélectionnée parmi une centaine de textes présentés lors du concours d’écriture précédent : “On cherche à faire émerger de nouvelles plumes, donc on choisit des auteurs souvent non publiés. On privilégie la qualité du texte et la richesse des personnages qui sont parfois peu travaillés dans le polar. Enfin, il y a bien sûr le suspens ! Il faut que le lecteur ait envie de tourner chaque page…” explique Sigolène du Besset. Le lien avec la région n’est pas obligatoire : “On est fier d’être Lyonnais mais on n’est pas une maison d’édition régionaliste”. Un comité de lecture composé d’une dizaine de bénévoles a également été constitué, pour aider l’équipe des éditions du Gros Caillou aujourd’hui constituée de trois personnes. En octobre prochain, cette maison publiera de nouveau Arthur Rogé avec Le Petit Mec, puis Grégoire Godinaud en février 2024. Ce qui démontre une fidélité pour ses auteurs coups de cœur. “On partage le maximum d’informations possibles avec nos auteurs. On est partenaires. Le contrat est par exemple totalement transparent” explique Sigolène du Besset. Les livres imprimés en France sont distribués au niveau national par La Générale Librest. Résultat, chaque lecteur en France peut commander un exemplaire chez son libraire. Mais les éditions du Gros Caillou n’ont pas de diffuseur, c’est-à-dire qu’elles doivent “faire du porte à porte” auprès des libraires : une centaine d’entre eux a donc vraiment les livres en stock. L’objectif est d’intégrer à terme un diffuseur pour être présent partout en France.
LES ECLAIREURS POUR LE VOYAGE
Catherine Foulsham a toujours aimé voyager : “Mes parents étaient dans l’armée de l’air, mes grands-parents étaient de grands voyageurs…” lance-t-elle. Journaliste pour le Figaro, Rhône-Alpes Santé puis une agence de presse, elle a occupé tous les postes au sein de ces organes de presse : secrétaire de rédaction, chef de rubrique, rédactrice en chef… Elle s’est par ailleurs spécialisée en tourisme et en santé. Comment expliquer qu’elle se soit subitement lancée dans la création d’une maison d’édition intitulée Les Eclaireurs ? “J’avais envie de faire un pas de côté et de m’attaquer à des narrations plus longues car la durée de vie d’un magazine est courte. C’est un peu éphémère” explique-t-elle : “Je m’intéresse aussi à l’objet. J’aime concevoir une édition de bout en bout, avec un sommaire, un éditorial, une mise en page spécifiques…” Pendant le confinement, Catherine Foulsham se demande comme beaucoup si elle va pouvoir de nouveau voyager. Un grand moment d’inquiétude pour cette passionnée. Elle tombe alors sur de vieux récits de voyages . Elle décide d’exploiter ces textes datant du début du tourisme, fin XIXe- début XXe siècle. “Je souhaitais comprendre ce qu’étaient devenues ces destinations !” Maupassant en Sicile, Dumas à Chamonix ou Flaubert en Bretagne…, ces écrivains classiques ont décrit les paysages avec beaucoup de finesse, tout en gardant une posture de touriste. Catherine Foulsham choisit de les republier car ils ont “une grande acuité au monde, une capacité d’émerveillement qui n’est pas polluée par notre société de l’image”, mais en ajoutant une approche actuelle de la destination. Une double lecture qui ne se résume pas à de la nostalgie : “Bien sûr à Chamonix, la Mer de Glace n’est plus la même mais il arrive que des bâtiments aient été rénovés entre temps, donc que ce soit entre guillemets plus beau aujourd’hui. Mais c’est sûr que ces auteurs ont pratiqué ce qu’on appelle désormais le slow tourisme. Ils ne se focalisaient pas sur les 10 incontournables ou instagrammables. Ils découvraient !” En effet, 80 % de l’activité touristique en France se concentre sur seulement 20 % du territoire. Face au sur-tourisme, Catherine Foulsham souhaite “réenchanter” le voyage, retrouver un certain imaginaire… Ces livres sont de beaux objets. Ce ne sont pas des guides avec des adresses. Il n’y a pas non plus de photos.
“C’est un prélude au voyage” tranche la gérante des Eclaireurs. Dans le futur, elle souhaiterait travailler à partir de textes moins connus. Pour créer une bibliothèque idéale. Trois titres sont en vente depuis mai et juin 2023 et l’objectif est d’en publier trois par an… Elle prépare L’Egypte à partir du texte de l’écrivain Pierre Loti, pour les fêtes de fin d’année. “Pierre Loti s’est rendu en Egypte en 1902 et il pointait déjà la sur-fréquentation ! Il mettait en garde les Egyptiens de ne pas dénaturer leur pays” précise Catherine Foulsham. Obligée de travailler à côté, la jeune chef d’entreprise auto-finance son projet et diffuse elle-même la production de ses ouvrages, imprimés dans la région, chez Chirat. Présents dans une trentaine de librairies à Lyon ou encore à Chamonix, les livres plaisent, “mais il faut que ça se vende”, ajoute-t-elle. Elle va cibler les librairies de voyage à Paris et espère convaincre un total de 50 points de vente d’ici la fi n de l’année. La suite de la collection dépendra de cette réussite. Sachant qu’il faut vendre 600 à 650 des 1 000 exemplaires produits pour rentabiliser l’investissement. Catherine Foulsham envisage aussi une déclinaison digitale. “La conception d’un livre est proche de mon activité de base, mais je dois apprendre un tout nouveau métier : la gestion d’une entreprise et les logiques économiques de ce marché…”