Quatre nominations pour Vingt Dieux

Vingt Dieux a obtenu 4 nominations pour les Césars qui seront décernés le 28 février : Meilleur Premier Film, Meilleur Scénario Original, Meilleure Révélation Féminine, Meilleure Musique Originale. Nous avions interviewé la Jurassienne Louise Courvoisier déjà sélectionnée au festival de Cannes, dans la catégorie Un Certain Regard. Formée à la Cinéfabrique de Lyon, cette cinéaste de 29 ans a privilégié un casting local et amateur… Interview. Par Maud Guillot.

Comment êtes-vous devenue réalisatrice ? 

Louise Courvoisier : Je suis originaire de Cressia, un petit village de 300 habitants près de Lons-le Saunier dans le Jura. J’y ai grandi. Puis je suis partie à Paris pour suivre des études de cinéma à la Sorbonne. J’ai ensuite intégré la Cinéfabrique à Lyon, une école de cinéma qui venait tout juste d’être créée.
Le cinéma et la ruralité sont deux univers assez éloignés.

Comment avez-vous réussi à les concilier ? 

Mes parents sont à l’origine des musiciens classiques et baroques. Il y a une trentaine d’années, ils ont changé de vie. Ils sont devenus agriculteurs avec leur quatre enfants. Leur intégration a pris du temps mais ils se sont accrochés. On a grandi dans une petite ferme sans eau ni électricité pendant cinq ans. Ils ont fait de leur ferme un lieu d’accueil et culturel. Je pense donc que j’ai eu cette double influence.

Le cinéma a donc été une vocation ? 

Pas du tout ! J’y suis venue presque par accident. Après le collège, je ne voulais pas rejoindre mon lycée de secteur, pour bouger, découvrir de nouvelles personnes. J’avais l’impression de tourner un peu en rond. J’avais besoin d’explorer. J’ai donc pris l’option qui me permettait d’entrer en internat au lycée de Besançon et c’était le cinéma. Les profs étaient super. J’y ai pris goût. Mais c’est vraiment à la Cinéfabrique que je me suis consacrée à l’écriture et à la mise en scène.

Qu’avez-vous appris dans cette école lyonnaise ?
C’était un peu particulier puisque j’étais dans la première promotion. On a construit l’école ensemble. On pouvait donner nos idées sur la pédagogie. Cette expérience collective a été incroyable. Les intervenants étaient de grande qualité. J’y ai rencontré des personnes avec lesquelles je travaille encore aujourd’hui. Il n’y avait pas de hiérarchie, par exemple derrière un réalisateur tout puissant. Tout était possible.

Dès votre premier court métrage, Mano à Mano, vous avez obtenu un prix…

C’était mon film de fin d’études, l’histoire d’un couple d’acrobates de cirque. Il a été sélectionné à la Cinéfondation de Cannes et a remporté le premier prix. J’ai reçu l’appel en pleine rue : j’ai cru à un canular ! Mais ce prix a déclenché la suite. Il m’a ouvert des portes. Des producteurs se sont intéressés à moi. J’ai pu lancer mon projet de long-métrage avec Muriel Meynard, d’Agat Films.

Combien de temps avez-vous consacré à ce premier film ? 

Environ 5 ans. Je l’ai écrit pendant 2 ans et demi, j’ai cherché des financements pendant 1 an, j’ai réalisé des castings pendant un an… Entre-temps, j’ai travaillé sur d’autres tournages.

Quelle est l’histoire de Vingt Dieux ? 

C’est celle de Totone, 18 ans, qui passe le plus clair de son temps à boire des bières et écumer les bals du Jura avec ses potes. Suite au décès brutal de son père fromager, il se retrouve soudainement responsable de sa petite sœur de 7 ans et doit trouver un moyen de gagner sa vie. Avec ses acolytes, il se met en tête de fabriquer le meilleur comté, celui avec lequel il remporterait la médaille d’or du concours agricole et 30 000 euros. C’est une sorte de drame mais avec beaucoup d’humour. Ce film reste assez léger et lumineux.

Vous avez privilégié un casting local, avec des jeunes qui n’avaient jamais fait de cinéma. Pourquoi ce choix ?
Cela a été un des plus grands défis de ce projet mais je voulais vraiment parler du territoire dans lequel j’ai grandi et aller au bout de cette rencontre. Je voulais que les accents soient vrais. Je voulais de l’authenticité. Ils ont été durs à trouver mais ces acteurs ont apporté un naturel et un réalisme incroyables. C’est ce qui fait la qualité du film je pense.

Mais comment les avez-vous trouvés ? 

Les annonces n’ont pas rencontré beaucoup de succès puisque je suis inconnue. Je suis donc allée avec ma directrice ce casting faire la sortie du lycée agricole, je me suis rendue dans les compétitions de stock-car ou de motocross, les comices agricoles. Clément Favreau, l’acteur principal qui a 18 ans, est apprenti dans une ferme qui produit des volailles. Il a travaillé en même temps, pendant les 8 semaines de tournage. Une aventure intense car tout reposait sur lui. D’autant qu’il s’est cassé la jambe après une semaine de tournage. Mais j’ai adoré tout ce travail.

Votre film vise-t-il à défendre une certaine idée de la ruralité ? 

Je veux surtout livrer mon approche de la jeunesse dans le monde rural, pas forcément de l’agriculture. Je porte un regard tendre sur eux sans leur faire de cadeau à tous les endroits. Beaucoup ont leur destin tracé très tôt, dans leur territoire. Ils peuvent en être très heureux d’ailleurs, mais dans les faits, ils n’ont pas les mêmes opportunités que les jeunes urbains. J’ai ressenti ce décalage quand je suis allée à Paris, alors même que j’avais les codes, grâce à mes parents. Et dans le cinéma, ces jeunes sont souvent soit invisibilisés soit caricaturés.

Mais avec ce jeune qui fabrique du comté dans le Jura, vous ne pensez pas encourager les clichés ? 

Non, le film est assez loin de ça. Totone ne veut pas reprendre cette fromagerie. Il y est contraint. J’aime bien m’emparer de la complexité et des contrastes d’une région. Le comté est central dans le Jura et il fait vivre les agriculteurs. Mais ce département ne se résume pas à ça. Je n’ai pas fait un film carte postale ou bucolique.


Comment avez-vous reçu cette sélection au Festival de Cannes ?

Là aussi, on a reçu ce coup de fil qu’on n’attendait pas. Cette compétition va nous donner une visibilité exceptionnelle. Je vais me laisser porter. C’est surtout important d’emmener tous mes comédiens avec moi à Cannes. La valeur symbolique est forte.

Vous faites partie des rares femmes à être sélectionnées. Existe-t-il une discrimination ou une auto-censure de la part des femmes ? 

Je ne suis pas sûre d’avoir la réponse mais on a peu d’exemples de femmes réalisatrices, donc peu de modèles d’identification. La parité n’est pas là. Les femmes de ma génération commencent à comprendre qu’elles ont toute leur place. Réalisateur est un peu un poste de pouvoir, il faut s’accrocher, faire preuve d’ambition… Ce sont des notions que les femmes doivent s’approprier, à leur manière.

Mais avez-vous senti qu’être une femme pouvait être un frein dans votre carrière ?

J’ai plutôt ressenti des inconforts dans certaines situations. Mais j’ai eu plutôt de la chance dans mon parcours car tout est allé assez vite. Je pense que c’est encore plus dur pour d’autres.

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