Le Lyonnais Gilles Magnard, alias Sellig, fête ses 30 ans de carrière. Avec près de 70 dates par an, cet humoriste connaît un succès inusable, loin des médias. Issu d’un milieu plutôt modeste, il défend un humour bienveillant et populaire. Portrait. Par Maud Guillot
Comment êtes-vous devenu humoriste ?
Gilles Magnard : J’ai grandi à Mermoz dans le 8e arrondissement. Mes parents étaient séparés. J’ai été essentiellement élevé par des femmes, ma mère qui était standardiste, ses amies dont certaines étaient ses colocs’, ma grand-mère ancienne ouvrière… Un milieu populaire mais où on ne manquait de rien. Mon père, plombier-couvreur, était présent mais comme les hommes de sa génération : il assurait avant tout le côté matériel. Dans votre spectacle, vous parlez souvent de votre sœur et de Bernard, votre beau-frère.
Mais en réalité, vous êtes fils unique…
Oui, ces deux personnages reviennent dans chacun de mes spectacles, ils sont très appréciés car complètement déjantés. En réalité, j’ai créé une famille fictive, mais dans laquelle j’aurais pu grandir et inspirée de personnes réelles. Notamment ma cousine. Il y a très longtemps, au cours d’un déménagement, agacée parce qu’on ne bougeait pas, elle a pris un petit frigo sur le dos. Cette image m’a marqué. J’en ai fait mon premier sketch : le déménagement de ma sœur.
Quelles sont les valeurs familiales que vous avez reçues ?
Faire attention aux autres, ne pas les blesser… Et bien sûr ne pas dépenser l’argent inutilement. Des valeurs
assez simples mais qui me guident encore aujourd’hui. Vers l’âge de 12 ans, comme je faisais le pitre à l’école, ma mère m’a envoyé en pension chez les Maristes à Oullins. Elle voulait assurer mon avenir. Et elle a bien fait.
Quels souvenirs en gardez-vous ?
De très bons ! Ça m’a permis d’ouvrir mon cercle relationnel vers d’autres milieux sociaux, d’autres horizons.
Ces nouveaux amis m’ont appris la lecture, la musique, le sport… Je suis resté quatre ans en internat. Puis je suis parti au lycée professionnel Rabelais de Dardilly où j’ai passé un CAP de cuisine.
Etait-ce une orientation par défaut ?
Non. J’ai toujours beaucoup cuisiné avec ma mère et ma grand-mère. Dès l’âge de 8 ans, je savais faire cuire des œufs, des pâtes… A 15 ans, je cuisinais des plats du jour. J’ai réussi facilement mes études. Mais mes expériences professionnelles n’ont ensuite pas été très positives. On m’applaudit et on me paie pour raconter des blagues. Ce qui m’a d’ailleurs permis d’acheter une maison à Charbonnières. Pour un Lyonnais, passer de
Mermoz à Charbonnières, c’est quelque chose. Je suis donc très reconnaissant. Je sais d’où je viens.
Dans vos sketchs, pas de politique, pas de sexe, pas de religion. Aucun sujet qui fâche. C’est un
choix ?
J’aime beaucoup ce genre d’humour, mais je ne suis pas capable de le faire. Je vais volontiers voir Gaspard
Proust qui est un pote. Je suis estomaqué par les horreurs qu’il arrive à prononcer. Lui, n’aime pas ce que je fais mais il a beaucoup de respect pour mon travail car il trouve que je le fais bien. Ou alors Elie (Semoun)
qui rentre sur scène sur du Wagner et qui dit : “Je ne suis pas rancunier quand même”. C’est exceptionnel. Comme Blanche Gardin qui me fait beaucoup rire. Mais ce n’est pas ce que vous aimez faire… Moi, j’ai été élevé avec Louis de Funès, Bourvil, Fernand Raynaud,… avec l’idée qu’on pouvait raconter des histoires sans se moquer. Ou alors de soi. Je pense qu’il faut de la diversité dans l’humour comme dans le reste. Le public a le choix. En fonction de son âge, de son humeur, ou même des périodes de sa vie, il n’a pas les mêmes envies.
Mais certains humoristes estiment qu’ils sont là pour faire réfléchir…
Oui, bien sûr. Moi, je suis là pour divertir. Point barre. On m’a craché dessus pour ça. On m’a reproché d’être
consensuel et populaire. J’estime que c’est de l’intolérance. Ça m’a longtemps attristé, blessé voire énervé.
Aujourd’hui, j’arrive à relativiser car je fais plus d’entrées que beaucoup d’humoristes très connus. Je vais
faire mon 9e Olympia l’année prochaine, sans poser une seule affiche dans Paris. Et c’est complet.
Comment expliquez-vous ce silence médiatique ?
Je pense qu’au fond, il y a un mépris de classe. Vis à vis de mon travail mais aussi de mon public. Or le divertissement populaire fait partie de notre culture commune. Je suis l’humoriste le plus diffusé sur Rire et Chansons. Gad (Elmaleh) m’a demandé si je n’étais pas propriétaire de la radio ! Cela dit, j’ai été contacté récemment par Paris Première qui m’a donné deux directs. Ils m’ont fait confiance car je suis populaire et qu’il n’y A l’époque, la cuisine, c’était très dur. Et même traumatisant. J’en ai parlé récemment avec Anne-Sophie Pic qui est une amie et qui est venue me voir à Valence : ils font beaucoup de prévention pour éviter ces dérives. J’en ai fait un sketch dans mon nouveau spectacle.
A quel moment êtes-vous devenu humoriste ?
Comique, je l’ai toujours été. Je crois qu’on nait comique. Il n’y a pas d’école pour ça, contrairement aux
comédiens ou aux acteurs. J’ai toujours aimé faire rire les gens. Quand j’étais gamin, je répétais les sketchs de Roland Magdane. Plus grand, ma mère qui m’a toujours encouragé, m’a donné l’adresse d’une association
qui faisait monter sur scène des artistes débutants tous les lundis soir. J’y suis allé plusieurs lundis de suite
pour raconter des blagues, puis j’ai écrit un premier sketch de 10 lignes. J’ai fait ça pendant deux ans.
Vous avez abandonné votre métier de cuisinier ?
Pas du tout. J’ai eu ma fille à 25 ans. Je ne me serais jamais aventuré dans une carrière incertaine. J’ai fait ça
en parallèle. Le patron mythique de l’Espace Gerson, Gilbert Landrin, m’a donné ma chance. J’ai continué en amateur pendant 5 à 6 ans. J’étais même pas payé. C’était juste un kiff. L’émission Graines de Stars qui cherchait de nouveaux profils m’a repéré. Mais j’ai refusé car il fallait aller à Paris. Ils sont revenus à la charge l’année suivante. Mes potes m’ont convaincu d’y aller pour me voir à la télé. J’ai gagné deux fois Graines de star.
Cette émission a-t-elle été un tournant ?
Oui, car dans la foulée, en 1999, j’ai gagné deux ou trois festivals d’humour. Anne Roumanoff m’a alors
proposé de me produire. J’ai hésité mais elle m’a clairement fait comprendre que cette chance ne passerait pas deux fois. J’ai accepté et j’ai démissionné de mon poste de cuisinier. J’ai créé mon spectacle et l’ai appelé Episode 1, en référence à Star Wars. Je trouvais les titres de spectacles comiques un peu ridicules d’où ce choix de la simplicité. Puis tout s’est enchaîné. Les planètes se sont alignées. J’ai poursuivi mon chemin, sans aucun accroc.
Vous avez quand même dû connaître des moments difficiles avec moins de succès ?
Non. Mon secret, c’est que je ne suis pas à la mode. Je propose des sketchs classiques. Mes thèmes sont
universels et intemporels. Je n’ai donc jamais cessé de tourner. Après Anne Roumanoff, je suis parti dans une
autre production, Richard Walter productions. Puis, il y a 15 ans, j’ai rencontré Audrey Guilhaume, une ancienne prof qui avait vécu à Madrid puis à Londres. Elle est devenue ma productrice. C’est grâce à elle
que j’ai fait des Zenith et des Olympia. J’ai atteint un rythme de croisière de 70 dates par an.
Vous tournez tout le temps ?
Oui, contrairement aux autres humoristes, je ne fais jamais de pause, sauf l’été. Ce n’est pas fatigant. Il y
a tellement de gens qui font des métiers durs, qu’ils subissent. Je ne risque pas de me plaindre, moi. On m’applaudit et on me paie pour raconter des blagues. Ce qui m’a d’ailleurs permis d’acheter une maison à Charbonnières. Pour un Lyonnais, passer de Mermoz à Charbonnières, c’est quelque chose. Je suis donc très reconnaissant.
Certains humoristes estiment également qu’on ne peut plus rien dire…
Je ne crois pas. Proust ou Guillon, ils balancent ! On ne vient pas les chercher avec les bracelets à la fin de leur spectacle. Heureusement, on est encore en démocratie.
Comment trouvez-vous l’inspiration pour vos sketchs ?
En regardant ma vie et celle des autres. Je passe ma vie à Carrefour Ecully, dans le métro, rue de la Ré,
à la terrasse des cafés… Je fais partie du peuple et j’observe. Je vous conseille de le faire. C’est fascinant.
Goldman a dit : “T’échappes à la police, pas aux statistiques”. C’est tout à fait ça. Je fais partie des statistiques. Je vieillis comme tout le monde. Je m’en sers pour faire rigoler les gens.
Ça ne vous empêche pas de faire quelques critiques, comme sur les prêtres…
Oui, bien sûr, je peux faire passer quelques messages. Comme sur l’écologie. Je suis parti de loin. Ma fille
m’enseigne le recyclage, à moins consommer, à récupérer l’eau, à diminuer la viande… J’ai même acheté
une Tesla et un scooter électrique. Je fais des efforts. Mais j’ai le sentiment que ça n’est jamais assez !
Ça fait vieux con de dire ça. Je dirais même qu’en tant qu’homme blanc de 50 ans hétérosexuel, j’ai un peu le
sentiment d’être l’homme à abattre !
Vous gagnez très bien votre vie aujourd’hui. Quel rapport avez-vous à l’argent ?
L’argent c’est un flux d’énergie brute. Positif ou négatif. Ceux qui disent qu’il ne fait pas le bonheur en ont
généralement. Et quand on n’en a pas du tout, on est malheureux. Mes proches disent de moi que je suis
généreux. Je les aide bien sûr mais j’ai aussi certains combats comme la cause animale. Je suis le parrain de
l’ASPA, un refuge de Valence. J’ai toujours vécu avec des animaux.
Continuez-vous à cuisiner ?
Oui, mais je n’ai jamais été un grand cuisinier. Je mélangeais les ingrédients, je faisais cuire et des fois,
c’était bon ! En fait, je suis un cuistot de plats du jour : viande mijotée, quenelles, gratins… J’apprends à faire
des boulettes végétales. J’attends d’avoir des petits-enfants pour leur faire des petits plats.
Avez-vous d’autres passions ?
Je collectionne les timbres depuis 40 ans. Rechercher et explorer, c’est une passion que m’a transmise mon
grand-père. Il était électricien et on allait chercher des pièces dans les décharges. Il fallait fouiner. Aujourd’hui, je fais tous les vides greniers. Je viens aussi de découvrir la moto. Je suis en train de passer mon permis. Mais la tournée de 2024 va évidemment beaucoup m’occuper.
FEEL-GOOD
“Le spectacle est complet et les billets se sont vendus en 15 jours” précise Audrey Guilhaume, la productrice de Sellig au sujet de sa date lyonnaise, le 9 mars à la Bourse du Travail. Bien sûr, l’humoriste joue à domicile. Mais cela n’explique en rien ce succès. Toutes ses dates en France, plusieurs dizaines par an, sont en réalité prises d’assaut. “Sans aucune affiche” se plait à répéter Sellig qui a su fidéliser son public en 30 ans de carrière. Nous avons assisté à ce 6e spectacle intitulé 6 e épisode, en référence à Star Wars dont Sellig, également grand ami de l’écrivain Bernard Werber, est fan. Première surprise, le public est très hétérogène. On avait imaginé des spectateurs plutôt âgés, ciblé Rire et Chansons, une radio où Sellig est largement diffusé. Pas du tout.
On croise des jeunes comme des seniors, hommes et femmes, de toutes origines. Sellig arrive, habillé tout en noir. Pas d’artifice, c’est lui seul qui fait le show. Il va enchaîner près de deux heures de sketchs. Son
inspiration, c’est sa propre vie, sa famille, et le quotidien des gens qui l’entourent. Pas de politique, pas de vulgarité, pas de provoc. C’est un choix assumé (Lire interview). Il évoque sa cinquantaine, les nouvelles technologies, ses voisins, le Noël si spécial de sa sœur et de son beau-frère Bernard, deux personnages que l’ensemble du public semble connaître et heureux de retrouver d’année en année… Sellig rit de nos travers mais aussi des siens avec beaucoup de bienveillance. Il nous parle comme à des amis. On a particulièrement
apprécié le passage sur ses débuts professionnels dans la cuisine, dans les années 80 aux côtés de chefs tortionnaires et sa critique (quand même) des émissions de téléréalité. Mais aussi le dernier sketch sur l’autoroute et nos manies de conducteur. On peut tous s’y reconnaître. Repris de l’Episode 5, il nous a donné envie de nous plonger dans les DVD de ses anciens spectacles.
Très expressif, plein de mimiques, Sellig propose un spectacle très physique et volubile. On ne s’ennuie pas une seconde. On ne se prend pas la tête : ça fait du bien ! Par hasard, on avait la chance d’être assis juste derrière la mère de Sellig. Il l’a directement interpellée puisqu’elle fait l’objet de presque tout un sketch. Emouvant. A la fin, Sellig remercie le public de lui avoir offert la vie qu’il a et on sent que c’est sincère. Un mec drôlement simple, ou simplement drôle..
Prochaines dates : 14 septembre 2024 à L’Intervalle de Vaugneray. Sellig proposera aussi un best-off de ses meilleurs sketchs le 31 décembre au Théâtre à l’Ouest, à l’OL Vallée de Décines, une structure dont il est le parrain. 9 avril 2025 : Bourse du Travail Lyon : Episode 6.