Succession : les chasseurs d’héritiers

A 45 ans, Paul Lauriau est généalogiste successoral. Directeur associé chez Coutot-Roehrig à Lyon, il intervient, à la demande des notaires, quand les personnes décédées n’ont pas d’héritiers. Une quête qui peut prendre plusieurs mois, l’amener à l’étranger et qui nécessite beaucoup de psychologie. Rencontre. Par Maud Guillot. En quoi consiste ce métier de “chasseur d’héritiers” ? Paul Lauriau : Notre travail, c’est de retrouver les héritiers d’un défunt et de passer un contrat avec eux, ce qu’on appelle le contrat de révélation. On prend un pourcentage sur ce qu’ils héritent. Donc plus ils héritent, plus on gagne : nos intérêts sont communs. Ensuite, on les représente par le biais d’une procuration, y compris pour vendre les biens immobiliers. Depuis quand cette activité existe-t-elle ? La généalogie existe depuis des milliers d’années. Tous les puissants avaient un généalogiste ! Mais avant, c’était simple : on se mariait dans le même village et on y restait jusqu’à la fin de ses jours. De plus, il y avait peu d’argent : seul le fils ainé héritait... Puis à partir du XIXe siècle, on a commencé à se déplacer, à se marier avec des “étrangers”. L’Etat appréhendait l’argent en cas de décès sans héritier. D’où l’idée d’Amédée Coutot de chercher ces héritiers. La création de Coutot-Roehrig date de 1894. Mais on entend davantage parler de votre métier depuis quelques années... Oui, une émission de télévision l’a popularisé. Mais au delà de ça, il se trouve que nos modes de vie avec les séparations, les mariages transnationaux... impactent davantage les successions et les rendent plus complexes. Nous devons souvent partir à l’étranger pour trouver des héritiers. Aujourd’hui, on appelle 60 000 personnes par an pour leur annoncer qu’elles héritent d’un défunt. Comment commence votre enquête ? D’abord, il ne faut pas de descendant connu. Ça peut commencer avec un voisin qui est inquiet car le bien immobilier du défunt est squatté, qu’il veut le racheter ou qu’il faut payer les charges de copropriété. Ce voisin qui savait cette personne très isolée demande à son notaire de se renseigner. Une fois saisi du dossier, le notaire qui est un officier public est obligé de régler la succession. Il vérifie s’il n’y a pas de testament. Puis il nous demande de faire des recherches. Vous les faites même si la succession n’est pas très importante ? Oui, il m’arrive de régler des dossiers à faibles actifs en allant aux Etats-Unis ! On ne refuse jamais de dossier, même si on le pourrait. C’est une question de confiance avec les notaires dont on est un partenaire. Sur la masse, les gros dossiers paient les petits. Ces cas de figures sont-ils vraiment fréquents ? On compte 680 à 700 000 décès par an. Dans 1 % des cas, il y a une recherche d’héritiers à faire. Cette part ne progresse pas. A Lyon, on traite près de 1 500 dossiers par an. Comment se passent vos recherches ? On attaque par notre base de données qui est très complète car ancienne (voir encadré) puis on se rend en mai- rie, dans les archives : on vérifie que le défunt n’a pas eu d’enfant, qu’il n’a plus de frère et sœur, puis on cherche les oncles et les tantes vivants, les cousins germains... Je précise que le généalogiste successoral est le seul à avoir accès à l’état civil de moins de 75 ans, qui est interdit à la consultation pour le respect de la vie privé. Cette re- cherche prend 4 à 12 mois. Ensuite on doit retrouver les héritiers et les contacter, évaluer la succession avec précision et la régler, soit 6 à 8 mois supplémentaires. Vous remontez jusqu’où dans les filiations ? Dans la loi française, on ne peut pas hériter au delà du 6e degré, sachant qu’un lien de parenté direct équivaut à un degré. On est à 1 degré avec ses enfants ou ses parents. Des frères et sœurs sont à deux degrés par exemple. Un cousin germain, c’est 4 degrés. Pour le 6e, on peut re- monter aux petits-enfants des frères et sœurs des grands- parents ! Sachant que le degré le plus proche évince tous les autres dans la succession ! Il faut vraiment être très précis dans l’arbre généalogique. Et s’il est de notoriété publique que le défunt a des enfants non reconnus ? On n’hérite pas grâce à l’ADN. Depuis l’affaire Yves Montand, on n’exhume plus les corps. Il faut que la paternité soit reconnue avant le décès de la personne.Y compris dans un testament. Sinon c’est trop tard. L’enfant devra tenter de prouver que le défunt s’est comporté comme un père... pour éventuellement hériter. Ce qui est très compliqué. Nous y sommes parvenus une fois avec une femme qui avait gardé toutes les lettres de son père, ses cadeaux d’anniversaire... Le juge a validé cette succession. Il faut donc un lien juridique... Oui, c’est ce qui prévaut. Un exemple : si ma femme, avec laquelle je suis mariée, me quitte et fait un enfant avec un autre homme alors que je ne suis pas divorcé, puis qu’elle revient et que je lui pardonne, cet enfant sera mon héritier au même titre que mes enfants biologiques. Inversement, un filleul même très proche n’aura droit à rien s’il est l’enfant d’un meilleur ami. Il m’arrive ainsi d’évincer des héritiers de cœur, qui se sont occupés du défunt, au profit des héritiers de sang. Ce qui est dur. Quel est le montant moyen des héritages que vous traitez ? De 60 à 80 000 euros. On a beaucoup de dossiers en des- sous et quelques dossiers au dessus. Il peut y avoir des biens immobiliers, des assurances vie, des comptes titres... Comme on retrouve souvent des cousins éloignés, ils doivent alors payer 60 % de droits de succession ! Pas de quoi faire fortune ! Oui, d’autant qu’ils sont souvent plusieurs ! 8 à 15 dans la majorité des cas. Mais j’ai quand même fait un chèque de 7 millions d’euros à une femme de 70 ans qui vivait dans un HLM aux Ulis. Une fin heureuse. Mais pour cela, son cousin, qu’elle ne connaissait pas, avait perdu ses parents dont il avait hérité, puis sa fille unique dans la même année dans un accident de voiture, provoquant la dépression de sa femme puis son décès, pour finir par mourir lui-même 6 mois plus tard.Tous les dossiers sont comme ça, avec le Yin et le Yang. Vous arrive-t-il d’annoncer à des enfants que leur père ou mère sont morts ? Une à deux fois par an. C’est donc très rare. Heureuse- ment ! La plupart du temps, les gens héritent de lointains parents qu’ils ne connaissent pas. D’ailleurs, les deux premières questions qu’ils posent, c’est combien et quand, pas qui... Ils s’intéressent peu au défunt. J’ai même eu un cas assez sordide. Que s’est-il passé ? La seule chose que demandait un défunt dans son testament, c’est d’être incinéré et de voir ses cendres jetées dans la mer. Les deux héritiers ont touché plusieurs millions. Ils sont repartis de chez le notaire en oubliant l’urne. Une de nos collaboratrices les a rattrapés gare de Lyon. Mais ils s’en fichaient. Ils ont ouvert l’urne et ont versé son contenu entre le quai et le train. Puis ont jeté l’urne dans la poubelle. C’est la nature humaine... Il y a donc des cas difficiles... Oui, j’ai aussi le souvenir d’être entré dans l’appartement d’une dame décédée en se cognant sur sa table basse : il y avait toujours le sang coagulé sur le tapis... On a souvent affaire à des gens isolés, avec des parcours de vie difficiles. Mais on peut aussi vivre des moments d’émotion très forts. Un exemple ? La succession de Sarah, Juive polonaise qui avait réchappé à la Déportation contrairement à sa famille. Quand elle est morte en 2020, j’ai découvert que son frère avait été sauvé et accueilli par une famille en Bretagne, elle ne l’avait jamais revu. Je suis allé à Auschwitz et au final, j’ai trouvé des héritiers aux Etats-Unis qui n’étaient même pas au courant de toute cette histoire. Avez-vous eu d’autres cas marquants ? Oui, beaucoup, on a eu des cas assez drôles. Par exemple, la succession d’un photographe de charme. Quand on s’est rendu dans son appartement avec les héritiers, on a été un peu surpris... Chez un certain Jean-Louis, on a aussi découvert beaucoup de photos pornos. C’était glauque. Mais sa voisine nous a raconté qu’il vivait seul, qu’il avait eu une vie horrible car ses parents lui interdisaient tout... J’ai aussi rencontré des cas de syndrome de Diogène avec des appartements remplis d’objets. Dans un inventaire, on a trouvé un diamant de 9 carats et demi. Ou encore 350 000 euros planqués dans des veloutés à la tomate dans le coffre fort d’un gendarme. Certains refusent-ils ces héritages ? Oui, une femme qui devait hériter de 500 000 euros les a refusés car elle ne s’était pas occupée de son cousin et estimait ne pas mériter cet argent. Elle n’était même pas riche. On les a transmis aux héritiers suivants qui étaient 15. J’ai aussi eu le cas de deux nièces qui ont refusé d’hériter de leur oncle. En creusant, j’ai découvert qu’il les avait violées toutes les deux. Je les ai convaincues de prendre cet argent et de le donner à une association. Ce qu’elles ont fait. En fait, plus que de l’argent, on trans- met des histoires. Il faut savoir écouter les gens, être un peu psychologue... Et au final, on est mieux que le loto : même pas besoin de jouer. COUTOT-ROEHRIG La société a été créée en 1894 par Amédée Coutot, puis transmise à Maurice. Ce dernier a une intuition : la collecte de l’information est essentielle : “Il a demandé à ses chercheurs de recopier les bans publics des mairies : naissances, mariages... Ce qui a permis de créer le fichier Coutot qui est un des plus complets de France” explique Paul Lauriau. Sans successeur, Maurice Coutot s’est associé à Jean-Claude Roehrig, un entrepreneur qui a étendu le maillage dans toute la France. Aujourd’hui, cette entreprise dirigée par Guillaume Roehrig compte 350 collabora- teurs dans 47 succursales en France. Elle est aussi implantée en Espagne, en Italie, en Belgique, en Suisse, aux Etats-Unis... Ce qui permet d’optimiser les recherches quand les familles sont trans- nationales ou originaires de ces pays. Mais aussi de développer ces marchés spécifiques. PAUL LAURIAU Les Lauriau étaient notaires de père en fils. “A 5 ans, je savais ce qu’était un usufruit” plaisante-t-il. Paul Lauriau connaissait donc le métier de généalogiste successoral. Mais c’est sa rencontre avec Guillaume Roehrig, Pdg de la société familiale Coutot-Roehrig qui a été décisive. En 2004, ce diplômé d’école de commerce se forme pendant un an et demi et acquiert alors la double compétence de généalogiste chercheur et juriste. En 2016, à 38 ans, il prend la direction de la succursale de Lyon, la deuxième plus importante de France avec 30 personnes. Cette antenne couvre Lyon, Dijon, Grenoble, Annecy et Valence...

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