Theresa Révay 
parfume Lyon

Theresa Revay - Paris - janvier 2024

Trois ans après La Nuit du premier jour, qui se déroulait dans l’univers des soyeux, Theresa Révay revient avec un roman sur la haute-parfumerie française dans les années 30, entre Lyon et la Russie. Ce Parfum rouge est aussi l’occasion pour cette autrice de mettre en lumière le rôle de ses ancêtres, les Givaudan, chimistes lyonnais. Elle raconte. Par Maud Guillot

Vous êtes une grande spécialiste des fresques historiques. Pourquoi vous être penchée sur la parfumerie dans les années 30 ?
Theresa Révay : Il y a deux ans, j’ai écrit une biographie de François Mathet, le plus grand entraîneur français de pur-sang. C’était un nouvel exercice pour moi. Mais ça a changé ma vie, car je suis sortie de mon train-train littéraire. J’ai découvert une forme d’écriture plus synthétique, plus nerveuse… J’ai alors abandonné le projet sur lequel j’étais, autour du Débarquement. A cette époque, mon frère m’a offert un livre d’un historien allemand qui explorait les parallélismes entre le N°5 de Chanel et le Krasnaya Moskva, un parfum russe. J’ai vu le lien avec ma famille.
Quel était ce lien avec votre histoire familiale ?

On m’a souvent demandé de raconter l’histoire des Givaudan, la branche maternelle de ma famille qui est Lyonnaise. Mais j’ai toujours repoussé cette échéance car je trouve que c’est un défi et même un guet-apens. Que faut-il dire ? Quelles sont les douleurs familiales encore prégnantes ? De plus, je n’avais pas de compte avec ces ancêtres… Mais j’ai trouvé la clef avec ces deux parfums. En effet, le chimiste du N°5 était mon arrière-grand oncle, Léon Givaudan. Il a créé et fourni les molécules de synthèse à Ernest Beaux, le parfumeur qui a composé le n°5.
Aviez-vous connaissance de la place de Lyon dans la parfumerie mondiale à cette époque ?
Non, j’en ignorais tout. J’avais étudié les soyeux et les tisseurs mais j’ignorais l’importance décisive de Lyon dans la parfumerie, à travers l’Université, l’Ecole de la Martinière, les industriels à savoir les Givaudan, Léon et Xavier, dont l’entreprise vendue à des Suisses est encore aujourd’hui un fleuron de ce secteur.… Dans ce roman, j’ai également ouvert la porte vers la Russie de Staline qui cherchait par ces échanges “glamour” à s’occidentaliser, pour faire oublier des millions de morts… 
Vous menez quasiment un travail d’historien pour chaque roman.
Est-ce le cas pour ce Parfum rouge ? 

Oui, je m’attache à la véracité des faits et des atmosphères. J’ai fait beaucoup de recherches en bibliothèques. J’ai lu par exemple à la BNF toutes les éditions de la revue La parfumerie moderne, créée par René-Maurice Gattefossé, depuis 1908. Je suis allée voir les parfumeurs pour étudier leurs archives. J’ai aussi puisé dans mes archives personnelles. J’au creusé l’histoire de Léon, qui est mort jeune. Même dans ma famille, on l’avait un peu mis de côté…
Léon Givaudan était en effet un créateur de génie, qui aimait profiter de la vie…
Issu de la Croix-Rousse, il avait l’âme d’un aventurier. C’était un proche des frères Lumière. Il a par exemple participé à une épopée de courses de montgolfières à travers le monde. Son frère Claudius s’est passionné pour l’aéronautique naissante. C’étaient des pionniers. Des inspirés. Léon était un innovateur. Y compris dans vie privée puisqu’il s’est marié deux fois. Mais il était travailleur, persévérant et toujours en recherche d’excellence. C’était un capitaine d’industrie, tout à fait lyonnais. Ce n’était pas un rentier qui flambait.
Dans un esprit lyonnais, on savait aussi garder le sens des affaires, et faire des échanges avec la Russie soviétique si nécessaire…

Oui, l’ambiance était particulière. La France avait accueilli des Russes blancs qui avaient fui la Révolution. Certains Français implantés en Russie, notamment des parfumeurs, avaient dû revenir devant la menace. Les Rouges n’étaient pas appréciés par le monde économique. Mais avec la crise des années 30, il fallait parfois faire preuve de réalisme pour trouver des débouchés. Cela dit, je tiens à préciser que je n’ai trouvé aucune trace d’échanges entre la Maison Givaudan et les Bolchéviques ! Léon était contre. En revanche, les Lyonnais pourront découvrir le positionnement étonnant de leur ancien maire Edouard Herriot à travers ce livre.
Le Radical Edouard Herriot était favorable à un rapprochement avec les Soviétiques ? 

Oui, depuis son premier voyage en 1922, il n’a cessé de vanter les mérites de l’URSS. Il a nié l’Holodomor, la grande famine ukrainienne imposée par Staline. Il a même défendu la reconnaissance de ce pays dans le concert des Nations, notamment face à la montée du nazisme en Allemagne. Ça reste quand même un des points noirs de son bilan politique.
On retrouve aussi les prémices de la Guerre froide d’après 1945…

Oui, il y a déjà de l’espionnage, une lutte d’influence… Le climat social est dur car la crise économique est intense. Mais entre 1934 et 1936, Staline décrète que la vie est “joyeuse” . Il fait importer des produits de luxe français, parfum, champagne… alors même que les Russes n’ont pas de quoi manger ou se vêtir. C’est le paradoxe russe.
Le personnage principal de Nine, une jeune parfumeuse, est quant à lui fictif. Comment l’avez-vous créé ?
Je me suis inspirée de Germaine Cellier, une des premières femmes parfumeuses mais après guerre. C’était en effet un univers très masculin. Ce personnage féminin, permettait de créer de l’émotion et de donner une “fille” d’adoption à mon arrière grand oncle Léon qui n’a pas eu d’enfants. Je pouvais aussi lui inventer une histoire d’amour avec Pierre Rieux, qui, lui, venait de la Guillotière, a été ouvrier, puis soldat dans l’Armée rouge, avant de se retrouver au service des Soviétiques, prêt à tout pour s’élever. D’autres Français ont vécu ce parcours en réalité. En tout cas, mon personnage de Nine est fort et libre. Car je ne suis pas très fan des Emma Bovary…
Etes-vous déjà sur un nouveau projet ?

Je suis encore dans le flou. J’étais sur une fausse piste avec ce livre des années 40. J’ai de nouvelles idées, mais je ne sais pas si j’irai au bout. J’ai compris qu’il ne faut pas s’entêter. Il faut écouter les liens mystérieux avec les personnages. En tout cas, ça ne sera pas une biographie. Pour cela, il faut une rencontre avec une personnalité. Je l’attends.


Ce qu’on en a pensé

1934. Nine Dupré descend d’une lignée de parfumeurs français, émigrés en Russie, qui ont dû fuir face au régime soviétique. Elevée par sa mère après la disparition de son père, cette jeune femme a un “nez”. Et du potentiel. Recrutée à Lyon par Léon Givaudan, elle croise la route de Pierre Rieux, un ambitieux commissionnaire en parfums proche du Kremlin… 
Ce roman de Theresa Révay nous apprend autant qu’il nous distrait. L’ambiance des années 30 est parfaitement retranscrite entre crise économique, conflits sociaux et troubles politiques. On découvre les liens ambigus avec la Russie de Staline. Mais aussi la place de Lyon dans la parfumerie mondiale. On croise des Gattefossé, des Aguettant… des noms qui parleront aux Lyonnais. Mais Ce parfum rouge reste un roman d’aventure et d’amour. 
Ce parfum rouge, de Theresa Révay, éditions Stock, 21,90 euros

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